Auteur

Karine Boivin Forcier

N.D.L.R. Le texte qui suit fait partie d’un dossier rédigé dans le cadre du cahier thématique dont le thème est : « Transport : un nouveau virage pour l’industrie » publié dans notre édition du mois de mai.

SAGUENAY – Le futur de l’industrie du transport en matière de transition énergétique ne sera pas assuré par un seul carburant, si l’on en croit le vice-président opérations et directeur général du Groupe Alfred Boivin, Stéphane Boivin et Éric Larouche, président du Groupe RL Énergies.

« Il s’agira de mettre la bonne énergie au bon endroit », estime M. Boivin. En effet, bien que plusieurs solutions, comme l’électricité, les carburants synthétiques, l’hydrogène ou le gaz naturel soient en cours de développement, elles n’en sont pas toutes au même niveau de maturité. Elles présentent aussi des défis différents quant à leur implantation.

L’électrification des transports est un des sujets de l’heure. Toutefois, le stade d’avancement de cette technologie fait qu’à court terme, celle-ci sera plutôt utilisée dans les véhicules automobiles ou des petits camions dits « du dernier kilomètre », soit ceux qui œuvrent en milieu urbain. « Ce qu’on va voir, ce sont des camions de petits formats avec des petits volumes. Il y a beaucoup d’entreprises qui travaillent sur ce type de camion », précise celui qui a déjà transféré une partie de sa flotte de camionnettes vers des véhicules hybrides et attend la livraison de F-150 100 % électrique.

Transport lourd

Avec la technologie actuelle, l’électricité ne serait toutefois pas une option viable pour les plus gros camions, comme ceux de classe 8 (qui ont un poids nominal brut de plus de 33 000 livres). « L’enjeu dans le transport, c’est le poids. Plus notre véhicule est pesant, moins on transporte de matériel et moins c’est rentable. Présentement, les véhicules électriques sont très chers et très pesants », mentionne le vice-président du Groupe Alfred Boivin. L’autonomie est aussi à prendre en compte sur les plus longs trajets ainsi que le temps de recharge.

Autre défi : le développement des infrastructures et de la capacité électrique pour fournir la recharge à de nombreux camions électriques en même temps. En effet, selon des données présentées par Énergir, la conversion de 10 000 camions lourds, soit 14 % du parc québécois, représenterait l’équivalent de la production de la centrale Robert-Bourassa (LG-2), soit 5 600 MW.

Gaz naturel : à maturité

Selon Stéphane Boivin et Éric Larouche, le gaz naturel est actuellement la technologie la plus mature afin de lancer la transition énergétique pour les véhicules lourds. Le Groupe Alfred Boivin a d’ailleurs fait l’acquisition de huit camions avec ces moteurs. « On a choisi le gaz naturel parce que c’est une technologie qui est prête, qui est mature et qui fonctionne. Peut-être qu’un jour il y aura d’autres technologies qui seront encore mieux pour l’environnement, mais ce matin, c’est celle-là qui a un effet immédiat au point de vue environnemental, qui est rentable et qui est sécuritaire. »

Ce type de technologie permettrait effectivement une diminution des GES de 25 % par rapport au diesel, en plus de réduire considérablement les émissions de polluants comme le monoxyde de carbone (90 %), l’oxyde d’azote (95 %), les particules fines (90 %) et le protoxyde d’azote (80 %). Cela fait en sorte que ces les camions au gaz naturel n’ont pas besoin de systèmes antipollution dont l’entretien est onéreux.

Ces camions ont un surcoût à l’achat par rapport à ceux au diesel, mais il est moindre que pour un véhicule électrique. Cette surcharge serait toutefois rapidement absorbée en raison du prix moindre et peu fluctuant du gaz naturel. « Pour nous, c’est en bas de deux ans pour rentabiliser ce surcoût. Présentement, je roule en bas de 60 cents du litre, alors que le diesel tourne autour de deux dollars le litre à la pompe. Nous avons calculé que le gaz naturel représente une économie de 30 à 40 % par rapport au diesel », affirme Stéphane Boivin.

Les biocarburants

Les biocarburants et les carburants synthétiques représentent une autre option pour le transport lourd. Les premiers sont produits à partir de la biomasse, soit de matières premières végétales, animales ou issues de déchets. Les seconds sont fabriqués grâce à un procédé chimique à partir de matières contenant du carbone et de l’hydrogène. Le principal enjeu de ces carburants, à l’heure actuelle, est leur disponibilité. « C’est assez intéressant parce que ça peut être utilisé avec les moteurs actuels et avec les infrastructures de distribution existantes, mais c’est dans les débuts. Le problème, c’est que la filière ne se développe pas assez vite. Il n’y en a pas assez pour répondre aux besoins générés par la transition énergétique », indique pour sa part Éric Larouche.

Le gouvernement du Québec s’intéresse toutefois à ce dossier. Il a d’ailleurs annoncé, l’an dernier, que l’essence vendue au Québec devra incorporer 15 % de « contenu à faible intensité de carbone » au 1er janvier 2030. Pour le diesel, ce sera 10 % à la même date. La proportion de contenu à faible intensité carbone dans les carburants vendus à travers la province augmentera dès 2023. « Nous nous préparons à ça », assure le président de RL Énergies.

Et l’hydrogène ?

Selon les deux intervenants interrogés, l’hydrogène n’est pas une solution intéressante à court ou moyen terme. En plus de son coût élevé, ce gaz est extrait par l’électrolyse de l’eau, un procédé qui requiert énormément d’énergie. Selon des données présentées par le professeur Claude Villeneuve dans sa chronique du journal Le Quotidien, prendre de l’électricité pour effectuer ce processus, puis utiliser l’hydrogène dans une pile à combustible pour produire de l’électricité représente une perte d’environ 70 % de l’énergie investie. En comparaison, stocker l’énergie électrique dans une pile permet d’en récupérer plus de 90 %.

« Il y a des constructeurs de camions qui travaillent sur des prototypes à l’hydrogène. C’est une technologie qui n’est pas encore au point. Et au-delà de la technologie pour les camions, je pense qu’il faut faire une réflexion sur la production de l’hydrogène. Est-ce que ça a du sens ? », questionne pour sa part Stéphane Boivin.

Véhicules hybrides

La transition énergétique passe également par les différents véhicules hybrides. « Je pense que la biénergie sera à considérer tant que les différents réseaux de distribution ne seront pas plus évolués. Pour certaines applications, comme sur des distances plus longues ou pour une plus grande puissance, les solutions hybrides sont plus pertinentes », affirme Éric Larouche.

Selon lui, on pourrait voir, par exemple, des véhicules combinant gaz naturel et électricité ou diesel et électricité. « Ça a aussi l’avantage que des véhicules hybrides au diesel pourraient être utilisés encore lors de l’arrivée des biocarburants », souligne M. Larouche.

Stéphane Boivin abonde également dans ce sens. « Il y a des technologies hybrides intéressantes qui sont testées. Il y a des choses qui se brassent, mais les technologies ne sont pas encore assez matures pour les plus gros camions », conclut-il.

Infrastructures régionales

Au Saguenay–Lac-Saint-Jean, les infrastructures pour l’utilisation d’énergies alternatives se déploient. De nombreuses bornes de recharge pour les véhicules électriques sont déjà disponibles un peu partout dans la région. Le Groupe RL Énergies travaille par ailleurs à l’implantation d’un réseau de 17 bornes de recharges dans ses différentes installations. « Nous aurons même des bornes à 160 kW. Nous sommes parmi les seuls au Québec à avoir ce type de bornes. […] Les particuliers comme les camionneurs pourront utiliser notre réseau dès cet été. Nous prévoyons aussi implanter éventuellement des endroits spécifiques pour les camionneurs afin de répondre à leurs besoins », affirme Éric Larouche.

Gaz naturel

Une station de gaz naturel comprimé (GNC) est également sur le point d’ouvrir ses portes à Saguenay. « Cette technologie est celle qui est la plus avancée en matière de transition énergétique pour le transport lourd. […] Nous pensons qu’en ouvrant ce site, cela motivera des entreprises à faire le changement, en leur fournissant un accès facile et flexible », indique M. Larouche. C’est Énergie Tergasa, entreprise née en 2020 de l’association du Groupe Alfred Boivin, de RL Énergies et de Solutions de gaz décentralisées du Canada (DGSC) qui assurera l’approvisionnement de la station, opérée par RL Énergies. Cette dernière souhaiterait éventuellement implanter une deuxième station du genre dans la région.

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