SAGUENAY – La problématique de main-d’œuvre dans le secteur du transport résulterait, notamment, d’un changement dans les habitudes de consommation des gens. Le vieillissement de la population et les deux dernières années de pandémie auraient accéléré le phénomène, mais ne seraient pas les causes principales.
« Le problème de main-d’œuvre, on le constate depuis plus longtemps que la pandémie. Je ne crois pas qu’il soit pire qu’avant. Il est vrai que le confinement et les restrictions sanitaires ont poussé des gens à délaisser le métier, mais ça n’explique pas le phénomène », indique Carl Houde, président du club de Trafic régional 02. Si quelques travailleurs ont pu être rebutés de la situation au point de quitter le milieu, le secteur du transport a toutefois récupéré de la main-d’œuvre provenant de l’extérieur.
« C’est notamment le cas des employés de la restauration, qui ont délaissé le domaine pour venir, entre autres, dans notre industrie. La pandémie a donc été responsable d’un déplacement des ressources humaines. »
La cause primaire de ce chaos dans les chaînes d’approvisionnements et l’industrie en général serait plutôt causée par un changement au niveau des habitudes de consommation de la population. « Le magasinage en ligne a explosé et, soudainement, notre logistique de transport basée sur une livraison importante de matériels à un endroit précis, comme un commerce à grande surface, a été remplacée par des centaines de petits trajets pour des commandes précises à des lieux précis. Cela nécessite plus de camions, plus d’employés et aussi plus d’entrepôts. Il y a présentement un changement de paradigme dans notre rapport à l’accès aux produits et notre chaîne logistique est en crise puisqu’elle doit s’adapter à cette nouvelle réalité. Il faudra un moment, mais je pense qu’après une période de transition, les choses se stabiliseront. »
Le président du Club de Trafic régional observe déjà une riposte de l’industrie face à ces nouvelles tendances. « Il y a plusieurs PME qui sont nées durant la pandémie et qui se spécialisent dans la livraison de petits courriers. Ces entreprises ont débuté avec deux véhicules et aujourd’hui, elles peuvent en posséder des dizaines. »
La technologie une pièce du puzzle
De grandes firmes de transport comme le Groupe Robert ont perçu ces changements d’avance et pour se prémunir d’un manque de main-d’œuvre imminent, ils ont paré le coup par la technologie. « Présentement, dans la ville de Varennes, le Groupe Robert construit un entrepôt entièrement automatisé, un projet de 150 M$. D’ailleurs, une partie des travaux est réalisée par la firme régionale Proco. C’est inévitable, plus il y aura de transports de type “Less-than-TruckLoad” (LTL) ou chargement à transport partiel, plus nous aurons besoin d’entrepôts pour le transbordement. Les solutions d’automatisation deviendront donc choses communes dans ces centres. »
Une période de solidarité
En période de crise comme le traverse l’industrie du transport, Carl Houde souligne l’importance d’être solidaire. « Nous vivons présentement une hausse du prix du carburant. Il serait important que les entreprises s’entendent pour augmenter leur coût de façon similaire. Un joueur qui déciderait de vendre à perte pour s’emparer du marché aurait des conséquences néfastes sur l’industrie et, à long terme, sur le consommateur. »
La coopération serait un des moyens pour aider les acteurs du milieu. M. Houde remarque que des transporteurs ontariens et de l’étranger sont de plus en plus présents sur nos routes. Le manque de ressources aurait pour effet de faire perdre des contrats aux entreprises locales. « Dans le contexte particulier où nous sommes, avec la pénurie de pièces, de véhicules et de main-d’œuvre, il est essentiel qu’une coopération naisse entre nos membres. De l’échange et du prêt de personnel, de véhicules et même d’équipement pourrait être envisagé. »
Repenser le métier de camionneur
Les mœurs évoluent et les préoccupations des jeunes familles également. Les couples sont souvent composés de deux travailleurs et cela assure parfois une plus grande sécurité financière des ménages. Une réalité qui remet en question la nécessité d’avoir un travail exigeant et compromettant en contrepartie d’un plus grand salaire. « Dans le monde du camionnage, offrir un horaire de 8 h à 17 h, c’est impossible. Les gens aiment avoir de la liberté et retrouver leur famille les soirs et les fins de semaine. C’est tout à fait légitime, mais ça complexifie la relève dans le secteur des long-courriers. Un conducteur grande distance part souvent plusieurs jours de suite. C’est une carrière qui exige des sacrifices. Les nouvelles générations ne semblent plus dans cette mouvance. L’industrie commence à s’adapter. On voit moins de trajets Saguenay-Ohio et davantage de petits couloirs et l’apparition de lieux de transbordement un peu partout. Cela a pour conséquence de rallonger les temps de livraison. »
Un changement au niveau de la formation
Les formations pratique et technique de la conduite d’un véhicule lourd n’ont pas été faciles durant la pandémie. Les brèves périodes où les rencontres présentielles étaient acceptées ne permettaient pas à un grand nombre de personnes de se regrouper pour assister à un cours. Des solutions ingénieuses ont donc été pensées et implantées.
« Nous avons enseigné plusieurs portions du programme sur le transport routier de façon virtuelle. Ç’a été un véritable défi puisque nos formateurs ont dû développer des moyens de donner leur cours à distance. Notre centre de formation a été fermé durant un an et demi. Au cours de cette période, nous opérions virtuellement. Nous continuerons d’enseigner sur un modèle hybride. De préférence en rencontre physique, mais les entreprises aiment de plus en plus accéder au contenu de manière numérique, ça sauve des coûts sur les déplacements. Le principal obstacle a été la formation pratique. Les mesures sanitaires nous empêchaient de nous retrouver deux personnes qui n’ont pas la même adresse côte à côte dans un camion. Une problématique de taille parce qu’il est impossible de remettre une licence à un conducteur qui n’a jamais tenu un volant ! », souligne Carl Houde.
Depuis quelques années, un simulateur de conduite de véhicule lourd est disponible pour les étudiants. Le Centre de formation en transport de Charlesbourg en possède un et une remorque contenant ce type d’appareil est également disponible à la location et elle se déplace au Québec pour former de futurs conducteurs. « C’est une technologie très intéressante. Nous pouvons simuler des conditions météorologiques, des températures et des scénarios. Pour l’avoir testé, je peux certifier que c’est très réaliste. Cela ne remplace pas la pratique dans un vrai camion, mais ça familiarise l’étudiant à certaines situations », conclut le président du Club Trafic SLSJ.