N.D.L.R. Le texte qui suit fait partie d’un dossier rédigé dans le cadre du cahier thématique dont le thème est : « Agriculture et agroalimentaire : cultiver la nordicité » publié dans notre édition du mois de juillet.
HÉBERTVILLE – La Ferme Tournevent investira 2,4 M$ pour agrandir ses installations au cours de la prochaine année. Ce projet représente la concrétisation des efforts et de la vision des propriétaires, Audrey Bouchard et Guillaume Dallaire, depuis le lancement de l’entreprise en 2014.
L’agrandissement, qui permettra de tripler l’espace du bâtiment pour totaliser plus de 18 000 pieds carrés, touchera principalement la section transformation ainsi que l’espace d’entreposage. Les investissements incluent aussi l’acquisition d’équipements, notamment pour l’automatisation des chaînes d’embouteillage et d’ensachage. « Avec la pénurie de main-d’œuvre, il faut absolument miser sur le 4.0. C’est obligatoire aussi pour demeurer concurrentiel dans le marché d’aujourd’hui », souligne Mme Bouchard, qui est aussi directrice générale de l’entreprise.
Les travaux devraient débuter à l’automne, pour une mise en service prévue au printemps 2023. « Pour nous, c’est énorme, mais c’est la concrétisation de tout ce qu’on a fait depuis le début, en plusieurs phases. Nous sommes producteurs et transformateurs. Nous réalisons toutes les étapes, de la matière première au produit fini. C’est long, pour une petite entreprise, d’implanter chacun de ces départements et de les finaliser », explique la copropriétaire, ajoutant avoir investi plus de 5 M$ depuis les débuts.
Le projet vient aussi contribuer à l’atteinte d’un des objectifs de la Ferme Tournevent, qui est d’accroître la proportion de ses oléagineux transformés sur place. Au départ, sur les 580 hectares cultivés, les deux tiers des grains étaient vendus en vrac. Les propriétaires souhaitent inverser cette proportion, afin de transformer les deux tiers de leur production.
Un accélérateur
Si la Ferme Tournevent a pu mettre en branle cette nouvelle phase de son développement aussi rapidement, c’est notamment grâce à l’intervention de Fondaction et du Fonds économie circulaire. Ces derniers ont investi afin de la soutenir dans ses projets, dans le cadre d’un partenariat avec le Créneau d’excellence AgroBoréal qui accompagne la jeune pousse d’Hébertville dans le déploiement de ses activités.
Pour Audrey Bouchard, cela a été la bougie d’allumage permettant d’amener sa PME là où elle le souhaitait, avec l’agrandissement et le virage 4.0. « C’est un accélérateur pour des entreprises comme la nôtre qui sont innovantes et qui ont le goût d’aller plus loin. Je ne sais pas si nous nous serions rendus là, si nous aurions pu aller chercher autant de leviers financiers pour réaliser tout ça. Nous sommes une petite entreprise. Nous n’avions pas les capacités financières de faire un gros bond comme ça. Nous pensions que ça nous prendrait peut-être 10 ou 15 ans pour atteindre cet objectif. » D’autres partenaires financiers se sont aussi joints au projet, dont Développement économique Canada, la CIDAL et la Financière agricole.
Un modèle différent
La Ferme Tournevent a suscité l’intérêt de Fondaction grâce à son modèle d’affaires différent qui mise sur l’intégration verticale. En plus d’avoir des productions relativement atypiques (lin, sarrasin, chanvre, canola, caméline, pois jaune à soupe, lentilles, ail et fleur d’ail) et biologiques, elle transforme ses oléagineux en huiles et opère un centre de tri et nettoyage de grains.
« Le fait d’être atypiques et innovateurs nous a permis de tirer notre épingle du jeu, même si c’est aussi un défi. Notre modèle d’affaires est compliqué d’un point de vue financier, mais au bout de la ligne, cette unicité fait en sorte que c’est difficile de le reproduire. C’est un avantage pour notre développement », affirme la directrice générale.
Le centre de tri et de nettoyage (criblage) de grains est aussi un élément important de son offre. « Nous avons développé notre expertise dans le grain de spécialité. […] Nous pouvons offrir des services à d’autres producteurs qui ont besoin de nettoyer ou diviser les grains, d’avoir des semences plus propres, etc. Le fait que nous produisons, transformons et nettoyons, ça permet à d’autres producteurs d’écouler leur stock. Je pense que nous devenons une plaque tournante importante dans la région. »
Économie circulaire
Les partenariats sont au cœur de la vision de développement de la Ferme Tournevent, que ce soit avec des producteurs, des restaurateurs ou d’autres transformateurs. Ces collaborations ont permis l’implantation de plusieurs actions d’économie circulaire.
« C’est un de nos modus operandi de mettre en commun ce pour quoi on est fort et de partager avec des partenaires. Ça peut être des équipements, mais aussi de la matière première, un coproduit. Par exemple, le tourteau, qui est le résidu solide de l’extraction des huiles, possède encore une belle valeur nutritive. Il devient un intrant pour la Ferme Villoise qui l’utilise pour nourrir ses porcs. Il va également nourrir des vaches dans des fermes laitières, qui ont constaté une augmentation du taux de gras dans leur lait. Ça crée une plus-value pour elles. Le Moulin à Coutu de La Doré transforme aussi notre tourteau en farine pour l’alimentation humaine », illustre Audrey Bouchard.
Les huiles déclassées pour différentes raisons sont par ailleurs utilisées par des entreprises cosmétiques. « On vient vraiment boucler la boucle pour ne pas avoir de déchets », conclut-elle.
Des productions atypiques
Lorsqu’Audrey Bouchard qualifie ses productions d’atypiques, elle réfère plus à la façon dont elles sont cultivées qu’à leur unicité dans la région. « Ce qu’on fait pousser, c’est ce qui pousse bien dans notre région nordique. Nous, avec le centre de grain, nous faisons des co-cultures. Nous avons développé plusieurs stratégies agronomiques pour pouvoir faire des produits différents. C’est le portrait d’ensemble qui fait qu’on se démarque. Si nous ne faisions que du maïs et du soya, nous ne nous parlerions pas aujourd’hui », souligne-t-elle.
En matière de co-culture, la Ferme Tournevent combine par exemple le canola et les pois jaunes dans le même champ. « La légumineuse va venir fixer l’azote dans le sol et aider le canola à pousser. Le lin, on le fait avec les lentilles. Nous mêlons un oléagineux avec une légumineuse. Agronomiquement parlant, c’est très intéressant. Le centre de grain fait en sorte que quand nous récoltons tout en même temps, nous sommes capables de les trier. Nous ne pourrions pas faire ça si nous n’avions pas ce centre », précise Mme Bouchard.