Dominique Savard
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Dominique Savard

SAGUENAY – Selon le professeur en Sciences économiques et administratives à l’UQAC, Marc-Urbain Proulx, Saguenaya, somme toute, réussi la fusion municipale au niveau de la gestion de la grande ville, mais ce constat est beaucoup moins clair du côté économique, notamment pour son impact sur l’ensemble de la région. L’homme avoue qu’il n’y a pas d’étude ou de données probantes spécifiques pour soutenir ou infirmer cette idée, 20 ans après l’annonce par décret gouvernemental du regroupement des sept municipalités concernées.

« Saguenay a réussi la fusion municipale au niveau de la gestion, malgré un héritage pas possible au niveau des équipements et du nombre d’édifices. À court terme, c’était certain qu’on ne pouvait pas sauver d’argent, mais après 20 ans, on commence à avoir des économies d’échelle. Il y a encore des tensions et des débats, mais la fusion, au niveau des services municipaux et des finances, peut être considérée comme assez bien réussie, même si la dette est énorme », mentionne M. Proulx dans un premier temps.

Au point de vue économique, le constat de l’enseignant est moins rose. « Nos attentes sur la ville de Saguenay étaient énormes à la fin des années 90 quand la ministre Louise Harel a décidé de faire la réforme municipale. On s’attendait à créer une force importante et à ce que Saguenay devienne un leader, un planificateur principal de l’avenir non seulement dans la grande ville, mais au niveau régional et même au-delà. » Il avoue, toutefois, que la responsabilité de cet état de fait n’incombe pas uniquement aux politiciens et cadres de la municipalité, qui se sont succédé au cours de ces années.

Saguenay pas seule dans la ronde

« Saguenay n’est pas le seul planificateur ou intervenant en développement économique à avoir un impact, même si on s’attend à ce que la Ville joue le rôle principal. Il y a au moins cinq autres groupes de planificateurs ou d’intervenants économiques majeurs qui n’ont pas de liens avec la Ville. Il y a les grandes entreprises comme RTA, PFR, CGI, le génie-conseil, les boîtes d’architectes, etc. qui ont leurs propres plans et agendas. On retrouve aussi les services publics non municipaux comme la santé, l’éducation, les centres de recherche, les centres de services scolaires, Emploi Québec et son volet de formation professionnelle, le MTQ, Emploi Canada, etc. En fait, 76 à 78 % du budget du secteur public à Saguenay ne dépend pas de la Ville. C’est une donnée quand même importante », soutient Marc-Urbain Proulx.

Parmi les autres groupes de planificateurs indépendants de Saguenay, on retrouve de gros acteurs du secteur public comme Hydro-Québec, mais aussi les organismes sectoriels comme la SVA, le CQRDA ou Transal, ainsi que les pouvoirs périphériques comme la MRC du Fjord, les municipalités environnantes, les MRC du Lac-Saint-Jean qui ont leurs propres stratégies et dynamiques, sans compter les directions régionales des différents ministères qui relèvent des autres paliers gouvernementaux. La société civile organisée qui influence le développement économique, comme les chambres de commerce et les groupes environnementaux, fait aussi partie du lot de planificateurs indépendants à la ville de Saguenay.

Un rôle de mobilisateur

« Il est difficile de dire si la fusion a été bonne ou pas au niveau économique, car il n’y a pas seulement la ville d’impliquée. Il y a plein d’autres joueurs comme mentionnés ci-dessus et Saguenay, qui fait son possible, n’a pas les coudées franches et n’a pas été capable de mobiliser tout ce beau monde autour d’une même table. La grande ville n’a pas été capable de jouer son rôle d’animateur de la réflexion économique pour Saguenay et elle a échoué à mobiliser les principaux joueurs économiques. Est-ce que ça aurait été mieux si elle avait réussi ? Je pense que oui, car au moins, on aurait une force supérieure », laisse tomber l’enseignant.

M. Proulx souligne également dans son constat l’impact qu’ont eu sur l’économie régionale la robotisation ou les technologies d’intelligence artificielle en cours d’installation dans les principales usines, les rationalisations de la grande entreprise, les fermetures de cinq usines (Cartonnerie de Jonquière, papetière de La Baie, Novelis, l’Usine Saguenay, l’usine de pare-chocs et les cuves Soderberg) ont causé la perte de 5 500 à 6 000 bons emplois.

Le déclin démographique une fatalité?

« La grande industrie a toujours son importance, mais force est de constater que le secteur tertiaire supérieur, qui comprend les technologies de l’information et des communications (comme celles de CGI, de Nordia et d’Ubisoft, les secteurs du génie de l’architecture, de la comptabilité, de la culture, de l’éducation supérieure et de la recherche) a été négligé. Il faudrait regarder ce qui se passe et savoir où on s’en va, car il n’y a pas de bilan. On sait qu’on est en déclin démographique, mais ça ne nous choque plus. C’est comme si on l’avait accepté », lance le chercheur.

Marc-Urbain Proulx fait ici référence à l’Étude sur les villes canadiennes en perte de population, réalisée en 2018 par Jean-Philippe Meloche de l’Université de Montréal et trois collaborateurs. Ce document souligne notamment qu’à Saguenay, « on a tendance à minimiser le déclin démographique et que, malgré une reconnaissance des faits concernant cette décroissance de la population, plusieurs demeurent optimistes quant à l’augmentation future de la population. Certains remettent même en question la crédibilité des projections démographiques officielles pour la région de Saguenay, soulevant le fait que ces dernières se sont avérées inexactes par le passé. L’acceptation d’un déclin futur est aussi associée au pessimisme par certains participants », peut-on notamment y apprendre.

« Saguenay doit assumer le leadership régional »

Saguenay, à titre de cité du 21e siècle, semble, pour le moment, incapable d’asseoir son rôle de leader régional, de planificateur principal, de mobilisateur, de visionnaire et de stratège de l’économie de son vaste territoire de rayonnement, aux dires de Marc-Urbain Proulx, professeur et responsable du Centre de recherche sur le développement territorial à l’UQAC.

« Ça veut dire que Saguenay n’a pas été capable d’assumer le leadership que l’on attendait d’elle, notamment parce que c’est trop compliqué, trop complexe à cause de la présence des cinq catégories d’acteurs économiques (grandes entreprises, services publics non municipaux, pouvoirs périphériques, directions des ministères, société civile organisée) qui ne dépendent pas de la grande ville. Il y a plus de chefs que de soldats. Ces joueurs vont venir s’asseoir autour d’une même table s’ils sont mobilisés et on n’est pas capable de le faire, du moins depuis la fusion. C’est même moi qui l’ai fait le plus avec Vision 2025 quand j’ai rempli l’amphithéâtre de l’UQAC trois fois par année de 2005 à 2007. Ces forums n’étaient toutefois pas décisionnels pour transformer les constats en stratégies ou en actions », explique M. Proulx.

Sherbrooke, un modèle à suivre

L’enseignant donne l’exemple de la ville de Sherbrooke où une table de concertation existe depuis vingt ans et réunit mensuellement les décideurs des principaux secteurs d’activité. « Il y a une belle concertation et une bonne réflexion stratégique. Il y a aussi plusieurs MRC rurales qui ont une table multisectorielle. À Saguenay, ce n’est pas parce qu’on est mal intentionné ou parce qu’on manque d’expertise, et on en a beaucoup dans tous les secteurs, c’est parce qu’on n’est pas ensemble. On défend nos intérêts corporatifs, sans vision globale de ce que l’on veut faire avec cette nouvelle ville créée déjà depuis 20 ans. Il y a beaucoup d’intelligence individuelle dans notre milieu, mais c’est de l’intelligence collective qui nous manque », soutien Marc-Urbain Proulx.

Pistes de solution ?

Le professeur de l’UQAC croit que Saguenay devrait adapter le Plan métropolitain d’aménagement et de développement (PMAD) mis en place à Montréal en 2011 et à Québec l’année suivante. « Cette formule-là, qui regroupe les élus, les différents ministères et les principaux joueurs locaux du développement, pourrait être intéressante pour Saguenay et même dépasser la grande ville pour englober les municipalités de la MRC du Fjord et même le Lac-Saint-Jean. L’idée est de coordonner une vision globale et une capacité de coordination des différents acteurs. »

Pour M. Proulx, il y a trois grands axes qui lui apparaissent importants pour une telle planification globale, soit la périphérie nordique, l’énergie renouvelable et le tertiaire supérieur. L’enseignant déplore également que Saguenay n’ait pas encore de stratégie pour se positionner par rapport développement du Nord. « Pourtant, nous sommes la capitale du Nord et il y a des investissements réguliers dans ce secteur. Par exemple, on ne construit plus de villes dans le Nord, les donneurs d’ouvrage optent plutôt pour des camps de travailleurs. Comment se fait-il que les avions pour voyager ces travailleurs sont affrétés à Québec et à Montréal et pas ici, à Saguenay ? »

Énergie renouvelable

Du côté de l’énergie renouvelable, Marc-Urbain Proulx rappelle qu’il y a des réservoirs d’énergie hydroélectrique et un important potentiel éolien et de biomasse au Nord. « La biomasse forestière tirée de la forêt boréale avec les technologies qui progressent va être phénoménale d’ici quelques années. Pourquoi pas créer quelque chose de fort avec cela, un vrai levier de développement autonome ? Il faut que ça soit un tentacule indépendant (comme Hydro-Québec) sur lequel les élus ont une autorité. Saguenay créerait une société publique de l’énergie renouvelable. Ça existe déjà dans la région avec la Société de l’Énergie communautaire du Lac-Saint-Jean, qui exploite notamment la centrale Val-Jalbert et la 11e Chute. Et, pourquoi pas, on pourrait même s’associer avec eux… »

Le tertiaire supérieur

Quant au troisième axe, relatif au tertiaire supérieur, qui représente 16 % de l’emploi au Saguenay, il devient de plus en plus un moteur de l’économie. « Les technologies de l’information et des communications, le génie-conseil, la recherche dans les cégeps et à l’UQAC, l’enseignement supérieur, la culture, etc., on appelle cela, en théorie, la classe créatrice. Ils font des projets et des développements. Et on devrait se préoccuper particulièrement de ce secteur-là qui est assez présent ici à Saguenay. Il faudrait les mettre ensemble, voir s’il y en a d’autres à attirer, s’occuper de leurs besoins de main-d’œuvre, de formation, etc. Il faut dire toutefois qu’on s’en préoccupe plus depuis l’arrivée d’Ubisoft », de conclure le professeur, qui aimerait bien voir la création d’une commission de la planification territoriale de Saguenay qui permettrait d’avoir une vision et une coordination de l’aménagement, la gestion et l’économie.

RDV Jeunes entrepreneurs

Les RDV Jeunes entrepreneurs de la Chambre de commerce et d’industrie de Saguenay-Le Fjord accueilleront d’ailleurs M. Proulx en mode virtuel ce mercredi 17 mars de 11 h 45 à 13 h15. La rencontre s’adresse à toute la population et même si c’est gratuit, il faut s’inscrire ici

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