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Maxime Hébert-Lévesque

DESBIENS – Vivanda Boréal s’apprête à donner à la gourgane ses lettres de noblesse. Longtemps mise en marché comme un produit maraîcher, la légumineuse se voit maintenant vendue sous la forme d’un haché par l’entreprise jeannoise. La demande pour les burgers végés est en augmentation de 31 % par année sur le plan mondial; la gourgane pourrait bien sortir de sa niche.

« Pour le secteur du burger végé, donc la fameuse boulette de haché végétal, les firmes marketing remarquent une augmentation de la demande d’environ 31 % par année. En 2021, ce segment représente 855 millions de dollars et on estime qu’en 2030, il en vaudra 10 G$. Dans le secteur alimentaire, il s’agit de la grande tendance pour la prochaine décennie », explique Pierre-Yves Côté, président d’Aliments Boréal.L’homme d’affaires de la région n’a pas été difficile à convaincre lorsqu’on lui a demandé de se joindre à un projet de commercialisation de produits à base de gourgane. « Dominique Tremblay, mon associé et copropriétaire de Vivanda Boréal, m’a d’abord proposé d’exploiter la camerise. Un petit fruit intéressant, mais qui demanderait un effort de mise en marché trop important pour le rendre aussi attrayant que la framboise. Ce que je voulais, c’était un produit de masse qui nous permettrait d’être sur le marché québécois, canadien et étranger. Dominique m’a alors présenté des recettes de haché de gourgane qu’il avait développé avec son équipe et j’ai su que c’était la bonne chose. »

Une protéine végétale unique

Selon monsieur Côté, l’industrie de la gourgane au Lac-Saint-Jean est le résultat d’un effort persistant et constant de la Ferme Éloïse à Alma. « Depuis des années, le producteur Éloi Truchon produit de la gourgane en raison de plus de 200 000 livres par année. Sans son apport essentiel, la production de cette légumineuse n’existerait tout simplement plus au Lac. Pendant longtemps, il s’agissait d’une production maraîchère vendue quatre semaines dans l’année entre juillet et août. Aujourd’hui avec la construction d’une congélerie à Normandin, la gourgane jeannoise est accessible à l’année. »

Une opportunité pour Aliments Boréal et sa division Vivanda de s’établir au Lac pour la construction d’une usine de production. « Je suis natif du Lac et après une carrière à l’international, j’ai choisi de revenir m’établir ici. Il est important pour moi et mes partenaires que nos produits soient “made in Lac-Saint-Jean”. »

Le marché et la compétition étant ce qu’ils sont, la provenance n’a pas été le seul élément qui a décidé le groupe de s’investir dans la transformation de la gourgane. En effet, cette production féverole contrairement au soja, aux lentilles ou encore aux pois chiches n’est pas contrôlée par une multinationale. « Il faut savoir que l’ensemble des graines permettant les productions céréalières et légumineuses sont détenues par brevets et licences par des multinationales. Produire des lentilles signifie donc devoir acheter ses graines d’un fournisseur chaque année et ne pas avoir la possibilité de développer ses propres graines. Autrement dit, vous êtes dépendant d’un joueur qui peut à sa guise grimper ses prix et gruger vos marges bénéficiaires », explique Pierre-Yves Côté. La gourgane représente donc une opportunité intéressante où un joueur comme Vivanda Boréal peut s’intégrer verticalement en contrôlant de la production au comptoir de l’épicerie.

Une situation monopolistique

Selon l’homme d’affaires, la gourgane est bien plus que l’ingrédient d’une soupe qu’on mange à l’occasion au cours de l’année. Bien commercialisée, la légumineuse peut devenir un lait, de l’humus, la protéine d’une sauce à spaghetti, des saucisses, des burgers et bien plus encore.Toutefois, il note un phénomène « d’économie politique de la gourgane au Lac-Saint-Jean. » Un manque de transformateur serait la cause d’un enflement virtuel du prix de la fève.

« La gourgane coûterait 50 cents le kilogramme à produire et environ un dollar pour congeler la même quantité dans la région. Ce qui veut dire qu’elle pourrait être vendue pour un dollar et cinquante et être rentable. Présentement, le prix est de quatre dollars le kilo; cela signifie qu’il coûte deux fois plus cher d’acheter la gourgane ici que sur le marché international ». Une situation préoccupante pour les administrateurs de Vivanda qui considèrent qu’il y aurait un « market failure » dans la région. La présence d’une seule congèlerie mènerait à une situation monopolistique qui serait nuisible pour l’innovation et restreindrait l’émergence d’une industrie de la gourgane.

Se positionner

Entre le mois de janvier et de mai 2021, des tests de perception ont été réalisés auprès de centaines de consommateurs afin de comparer les produits de Vivanda avec la compétition. « Les résultats ont été plus que positifs et nous avons remporté trois prix à des concours de dégustation auprès de 75 jurys », explique Pierre-Yves Côté, président d’Aliments Boréal. L’exercice ne servait pas
uniquement à évaluer les recettes, mais aussi à déterminer le marketing visuel approprié pour se positionner dans le segment des aliments à base végétale. « Monter le projet et embaucher des experts de tous acabits a nécessité un investissement d’un million de dollars et énormément de temps donné par les actionnaires. »

S’introduire sur le marché québécois

Au début de l’été 2021, l’entreprise a engagé un courtier agroalimentaire pour s’occuper de l’introduction de ses produits chez différents distributeurs. Ce dernier leur a permis de signer un contrat avec l’épicier Métro. « Pour l’heure, nous avons trois produits disponibles en exclusivité dans 220 succursales de l’épicier. Notre objectif initial était d’avoir 200 points de vente pour décembre, nous sommes donc en avance. L’entente avec l’épicerie est sur un an, nous évaluerons donc au cours de cette période si ce partenaire est celui qui rejoint le mieux notre clientèle cible. »

Un premier distributeur sur le marché de la vente de détail en poche, Vivanda se tourne présentement vers le secteur du gros. L’industrie HRI est dans la mire du fabricant alimentaire, et malgré qu’elle ait été durement touchée par la pandémie, ce secteur demeure primordial pour assurer une croissance. « Les restaurants se remettent tranquillement de la secousse et avec la tendance aux produits santé et véganes, nous sommes sûrs de frapper dans le mille. Les pourparlers avec Gordon Food Service sont en cours et nous sommes confiants d’intégrer leur catalogue de produits. S’introduire dans leur réseau signifie être sur les épaules d’un géant. Il s’agit du plus grand distributeur alimentaire pour l’industrie HRI en Amérique de Nord. »

Plus végés les Canadiens ?

Pierre-Yves Côté ne prend pas de détour lorsqu’il parle de l’avenir de Vivanda Boréal. « Notre marché principal c’est l’Ontario et la Colombie-Britannique. Notre voisin consomme deux fois plus de produits à base de plante et le régime flexitarien y est nettement plus populaire. La Colombie-Britannique est sur la même vague et ce sont les deux endroits au Canada où la réponse pour notre offre est la plus favorable. Le Québec sera un lieu de production et d’essai pour nos produits . Nous espérons d’ailleurs faire une première brèche dans le marché anglophone d’ici 2022. »

« La Californie, c’est 10x le Canada »

Selon les dires du président de Vivanda, les fabricants de produits alimentaires à base de plantes ont tous l’œil tourné sur la Californie. L’État du sud-ouest serait l’endroit sur la planète où il se consomme le plus de produits végétariens. « En termes de marché, c’est 10 fois le Canada. Lorsque les firmes de marketing analysent la croissance de la demande pour les burgers végés c’est là que la courbe est la plus prononcée. L’objectif est d’y introduire nos produits pour 2022. Percer le marché californien se traduirait par la construction d’une usine sur la côte ouest canadienne. »

Créer de la richesse

La production de l’usine jeannoise devrait être destinée pour l’est des États-Unis, les maritimes et l’Ontario. « Si l’usine est très peu automatisée, on pense employer une cinquantaine de personnes, mais ce n’est pas l’objectif. Considérant les réalités du marché avec la rareté de main-d’œuvre et le vieillissement de la population, nous nous orientons vers une automatisation complète. Dans ce cas, on envisage la création d’une vingtaine de postes », souligne le président. Si cette déclaration peut surprendre, l’homme d’affaires précise qu’il est préférable de créer un emploi à 70 $/h que trois flirtant avec le salaire minimum.

« La création d’emplois est un terme des années 70, aujourd’hui c’est la création de richesses qui est souhaitable. Les emplois manufacturiers sont appelés à s’automatiser. Ce n’est pas valorisant pour aucun être humain de faire des tâches répétitives dans des conditions difficiles. Les gens ont des cerveaux et on peut les former à faire d’autres choses. » Pour l’entrepreneur, le véritable apport de son entreprise réside dans les opportunités d’affaires que son succès aura auprès de la vingtaine des fournisseurs locaux qui produisent l’avoine, le grain, l’huile, la gourgane et la farine nécessaires à la conception des burgers.

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