Auteur

Frédérica Fortin-Foster

SAGUENAY ­­­– Les producteurs agricoles se préoccupent de l’avenir de leurs terres. La spéculation autour de la valeur foncière des entreprises agricoles est l’enjeu à contrer pour garantir une relève dans le milieu.

« Est-ce qu’on veut que dans quelques années ce soit les agriculteurs du Saguenay-Lac-Saint-Jean qui cultivent les terres de notre région et qu’on mange des produits d’ici ou que la terre soit détenue par des acheteurs étrangers qui exportent le tout ? La relève agricole c’est l’enjeu de tous », souligne Lise Tremblay, directrice régionale de la fédération de l’Union des producteurs agricoles (UPA) du Saguenay-Lac-Saint-Jean.

C’est de plus en plus difficile de prendre la relève d’une entreprise agricole selon Nicholas Tremblay, producteur agricole, membre de l’UPA régional et président du syndicat local de Saguenay le fjord.

« C’est un défi de trouver de la relève agricole au sein des familles ou au sein de ceux qui ne sont pas issus du domaine, car les fermes ont grossi, les valeurs foncières ont augmenté alors que les familles sont beaucoup plus petites qu’auparavant », rapporte M. Tremblay.

Un défi de taille

La raison pour laquelle les terres agricoles valent beaucoup plus cher aujourd’hui, c’est la spéculation qui ait fait autour de celles-ci. « Dans certains cas, l’acheteur est prêt à payer beaucoup plus cher que ce que ça rapporte réellement. Cela fait en sorte que lorsque la relève entre enjeu et fait les calculs, ce n’est pas rentable économiquement », ajoute Nicholas Tremblay.

La directrice régionale de l’UPA explique que la tendance concernant la valeur foncière des terres risque d’augmenter. En agriculture, c’est près de 8 $ d’investissement afin de générer 1 $ de revenu, alors que dans le milieu commercial c’est environ 3 $ afin de générer 1 $ de revenu.

« Ça prend beaucoup plus de capitalisation pour générer des revenus en agriculture comparativement au commercial. Si cette capitalisation se trouve à être plus chère que la valeur habituelle, le défi est encore plus grand pour viser une rentabilité à court et moyen terme. La spéculation au fil des années augmente la valeur des terres et assez rapidement, ce qui fait en sorte que le 8 $ d’investissement de départ risque d’augmenter pour générer ce même 1$ de revenu », explique Lise Tremblay.

L’inquiétude concernant la spéculation foncière ne va pas en s’améliorant. Les chiffres démontrent qu’il y a deux ans, la moitié des terres ont été vendues à des non-agriculteurs. C’est le double en comparaison à 2011. Selon des données de l’Union des producteurs agricoles en 2021, 52% des transactions foncières ont été faites par des non-agriculteurs alors qu’en 2011 c’était près de 25 %.

« Si nous continuons la tendance, dans 20 ans les terres seront louées aux agriculteurs sans qu’ils soient les propriétaires. Si les entreprises agricoles sont représentées à leur juste valeur, la relève qu’elle soit apparentée ou non apparentée va normalement être en mesure d’acheter », ajoute Mme Tremblay.

Un travail collectif

Selon Nicholas Tremblay, il y a des solutions sur la table pour contrer le problème, mais ça demande une volonté d’agir de tous les acteurs et un travail collectif.

« Le défi c’est que malgré les propositions, si les gens ne sont pas préparés ou que le gouvernement ne met aucune règle en place, ça ne peut pas fonctionner. Les idées il y en a, mais ça prend la volonté d’agir. Afin que ça se passe bien pour les générations futures, il faut prendre les décisions aujourd’hui. »

« L’agriculture ce n’est pas une entreprise de pièces d’auto, c’est la base de notre alimentation. Est-ce qu’on veut vraiment jouer avec cet aspect qui est notre besoin premier, s’alimenter ? Il n’y a personne qui fait quoi que ce soit d’illégal, tout le monde prend les opportunités qu’ils peuvent selon les paramètres disponibles. Nous devons simplement nous questionner et mettre des balises pour le modèle que nous souhaitons avoir dans 30 ou 40 ans », renchérit-il.

Relève apparentée versus non apparentée

L’UPA n’a pas de statistiques précises sur le pourcentage d’entreprises agricoles reprises par les membres d’une même famille versus une relève dite non apparentée. Ces données peuvent varier selon la région et le secteur.

« Nous voulons que les terres restent entre les mains des agriculteurs que ce soit de génération en génération d’agriculteurs ou entre les mains de d’autres producteurs agricoles. Nous n’avons pas les statistiques exactes, mais nous remarquons que la relève se fait plus rare », souligne Lise Tremblay.

Dans le cadre d’une relève apparentée, cela prend un juste milieu entre le don et le montant acceptable fiscalement pour la reprise d’une entreprise agricole selon Mme Tremblay.

« Les lois fiscales allant jusqu’à maintenant ne favorisent pas nécessairement un transfert apparenté. C’est fiscalement plus avantageux de vendre à un étranger de la ferme que de vendre à ses enfants. Il y a des pressions qui sont faites pour que ce soit avantageux dans les deux situations. C’est vrai que dans la majorité des transferts apparentés, une partie se fait en don afin que la relève soit capable de vivre malgré les dettes, mais la relève doit également contribuer pour que les producteurs qui se retirent aient une retraite bien méritée », conclut-elle.

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