Dominique Savard
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Dominique Savard

N.D.L.R. : Le texte qui suit fait partie d’un dossier rédigé dans le cadre du cahier thématique dont le thème est : « Agriculture et agroalimentaire : les bénéfices d’une approche collaborative » publié dans notre édition du mois de juillet.

SAGUENAY–LAC-SAINT-JEAN – « La population doit savoir que l’on a tout simplement été oubliés. Les aides gouvernementales qui se font à tous azimuts et qui ont fait passer le déficit fédéral de 20 à 343 milliards de dollars, on ne les a pas vu passer », affirme Mario Théberge, président régional de l’Union des producteurs agricoles (UPA).

Les agriculteurs vivent du jamais vu en raison des impacts causés par la crise de la COVID-19, que ce soit au niveau de l’augmentation des dépenses, de la perte de revenus, de la main-d’œuvre étrangère qui arrive au compte-goutte, de la canicule, etc., le monde agricole est pris avec une réalité exceptionnelle. « Ça fait 40 ans que je fais de l’agriculture et je n’ai jamais vécu une période aussi difficile. À titre d’exemple, en raison du changement drastique de la consommation par rapport aux hôtels, restaurants et institutions, les surplus de lait ont dû être jetés. Il faut dire que le prix des quotas va avec le lait vendu. Quand il est jeté, ça fait diminuer le revenu moyen d’environ 10 % », précise M. Théberge.

Des coûts supplémentaires

Les producteurs de porc et de poulet font face pour leur part à des dépenses supplémentaires de l’ordre de 30 % en raison de la fermeture, d’abord, d’abattoirs aux prises avec la contamination et, ensuite, en raison des retards provoqués par les normes de distanciation (2 mètres), ce qui limite le nombre d’employés sur place et entraîne une baisse de production du même coup. « Dans la chaîne de poulet et de porc, tout est prévu. De la naissance à l’abattage. Ça prend de cinq à six semaines pour produire un poulet avant l’arrivée des prochains. Avec les retards de l’abattage, les producteurs ont dû garder leurs poulets plus longtemps. Saint-Hubert, par exemple, a des normes très strictes pour le poids du poulet. Quand les producteurs doivent les garder plus longtemps, en plus de les nourrir, le poulet est déclassé. Le producteur est pénalisé sur le prix de vente et sur les coûts de production, et ce, strictement en raison de la COVID-19 », précise le président.

Ce dernier souligne également qu’il y avait 85 000 porcs au Québec en attente d’abattage (en date du 18 juin), là aussi en raison des retards provoqués par la crise sanitaire. Les coûts associés à l’augmentation des dépenses pour les porcs représentent environ une hausse de 30 %. « Évidemment que l’on a fait des représentations auprès du gouvernement et de nos élus. Au fédéral, il semble bien que l’agriculture ne compte pas beaucoup. Comment voulez-vous qu’on admette que le gouvernement fédéral nous supporte bien avec une annonce de 252 M$ quand nos économistes démontrent que nous avons 2,6 milliards de dollars de coûts supplémentaires et qu’en même temps, le premier ministre Justin Trudeau donne neuf milliards de dollars aux étudiants pour qu’ils restent chez eux et annonce une aide de 500 M$ pour les artistes et la culture ? La culture c’est important, mais l’agriculture aussi. Il nous a tout simplement oubliés ou il ne nous considère pas », affirme le président régional de l’UPA.

La PCU nuit à l’industrie

Mario Théberge est convaincu que des agriculteurs de la région vont lancer la serviette. Déjà, il avoue qu’une grosse ferme du Lac-Saint-Jean dont le fils a pris la relève du paternel a décidé de tout vendre. « En réalité, il y a des producteurs qui, à force de perdre de l’argent, vont penser à fermer et faire autre chose. C’est dur pour le moral et, financièrement, des banques nous appuient, mais ça demeure des prêts qu’il faudra rembourser. Après trois mois, on ne voit pas le bout de l’histoire. En plus, la main-d’œuvre étrangère ne rentre pas et la main-d’œuvre locale ne veut pas travailler en raison des programmes du fédéral avec sa PCU. Il y a des gens qui ont vraiment besoin de ce programme d’aide d’urgence, mais ça nuit beaucoup dans notre domaine agricole et dans le commercial. »

Toutefois, le président prend le soin de rappeler que les producteurs agricoles sont des combattants. « Avant de lâcher prise, ça nous en prend pas mal. On fait avec. On s’organise avec la main-d’œuvre qui est familiale. Ceux qui ne travaillent pas, qui ont du cœur, viennent nous donner un coup de main. Ils n’ont pas d’expérience ni habilité à conduire la machinerie, mais il faut composer avec. Il faut garder le moral. »

Interrogé sur les besoins immédiats de ses membres, M. Théberge répond sans hésitation : « On a besoin d’une aide immédiate d’argent. La seule chose qu’on a eue, c’est 10 000 $ sur un prêt de 40 000 $ si l’on rembourse à temps 30 000 $. Un tel montant, pour une ferme qui a un chiffre d’affaires de plus de 500 000 $, est-ce que vous pensez que ça va permettre à l’agriculteur de respirer? Toutes les autres aides vont aux employés. Ça aide l’agriculture, mais pas l’agriculteur… »

L’achat local, le point positif

L’engouement des consommateurs pour l’achat local est le gros point positif de cette crise sanitaire, toujours selon M. Théberge. « On a fait un grand pas de ce côté-là. Les produits locaux, les produits maraîchers, ils ont tous atteint leurs objectifs. Les gens veulent acheter régional. Le consommateur en fait plus que le gouvernement. C’est important que les consommateurs soient conscientisés à l’agriculture. Il faudrait que le gouvernement en fasse autant et accepte de mettre des incitatifs pour que ça parte du bon bord. Sinon, on va échapper des producteurs, et pas des petits, mais de grosses fermes. »

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