Auteur

Maxime Hébert-Lévesque

SAGUENAY – Le 23 mars à la conférence de presse du gouvernement sur la pandémie, le premier ministre François Legault avait demandé la fermeture de toutes les entreprises dites non essentielles. Un confrère journaliste, Louis Lacroix, de Cogeco, a posé une question intéressante : est-ce que les alumineries pourront continuer de fonctionner ? L’interrogation supposait que la fermeture de celles-ci serait laborieuse, voire impossible. Pourquoi ne peut-on pas arrêter facilement une aluminerie ?

Il n’est pas impossible d’arrêter complètement les activités d’installations comme celles du Complexe Jonquière de Rio Tinto. Toutefois, les procédures pour un arrêt total de production sont laborieuses, longues, coûteuses et même risquées à quelques égards. Il n’est donc pas souhaitable d’enclencher de telles démarches si l’on prévoit un retour à la production à court terme. « Ce n’est pas seulement une ‘’switch’’ sur laquelle on peut appuyer quand bon nous semble. Il faut des semaines pour prévoir l’arrêt d’une aluminerie et c’est un travail tout aussi complexe pour planifier sa relance. Même ralentir la production d’une salle de cuves rapidement risque d’endommager de façon irréversible les cuves où est contenu le métal en fusion », explique Donat Pearson, président du Syndicat National des Employés de l’Aluminium d’Arvida (SNEAA)-UNIFOR.

Un procédé en continu, exigeant pour l’équipement

Le procédé pour fabriquer de l’aluminium demande d’énormes quantités d’énergie et cela soumet les cuves et équipements connexes à une énorme pression. Une fois l’alumine raffinée à partir de bauxite par le procédé Bayer, elle se présente sous forme de poudre blanche. Celle-ci est essentiellement composée d’atomes d’oxygène et d’aluminium. Pour séparer les deux éléments, on liquéfie cette poudre dans la cuve de procédé en augmentant la température du contenu à plus de 900 degrés Celsius.

Cette transformation de l’alumine en métal en fusion est créée par le passage d’une très grande quantité d’électricité à travers celle-ci, qui se trouve entre une anode, au-dessus du mélange, et la cathode, située dans le fond de la cuve. C’est ce qu’on appelle l’électrolyse. Celle-ci demande entre 250 000 et 650 000 ampères selon les installations. On siphonne ensuite l’aluminium liquide par le bas de la cuve de façon continue et ininterrompue. « On peut comparer les cuves à de gros bébés qui doivent sans cesse être nourris. S’il y a un manque dans l’entrée des matières premières (alumine), elles peuvent grandement s’endommager », souligne le syndicaliste.

Dans le cas d’un arrêt rapide des cuves, le métal en fusion risquerait de se figer et de détruire l’isolant et la structure même de la cuve en plus d’endommager ou de détruire l’anode. « Pour repartir la cuve, nous devrions briser littéralement le contenu figé dans le fond du bassin et tout bien nettoyer. Même si les mesures de protection sont bien en place, cela peut aussi être risqué pour la santé-sécurité des travailleurs de relancer une cuve qui a été mise en arrêt de façon soudaine ».

Selon d’autres experts qu’Informe Affaires a consultés, dans le cas où l’arrêt serait fait de façon lente et progressive, il pourrait également y avoir des problèmes au redémarrage. L’entrée massive d’électricité et les températures élevées pourraient créer un choc thermique et fissurer la cuve. Il faut comprendre que, malgré leur solidité, les cuves sont des éléments dits consommables, donc avec une durée de vie finie, de 1 500 à 2 000 jours dans des conditions normales. Un arrêt brusque pourrait réduire considérablement leur durée de vie et ainsi entraîner des coûts astronomiques pour l’entreprise. Pour des usines de l’âge du Complexe Jonquière, une telle situation pourrait bien constituer le chant du cygne, du moins pour une bonne partie des installations.

Aussi des problèmes de logistique

Donald Pearson explique qu’un autre problème se poserait rapidement dans le cas où on arrêterait les usines, alors qu’il faudrait ralentir les bateaux qui viennent livrer la bauxite et tous les fournisseurs qui livrent les produits pour la fabrication d’anodes. « Nous ne pourrions pas tout stocker à l’infini et il finirait par y avoir une limite à l’accumulation. L’usine de Vaudreuil à Jonquière est la seule en Amérique du Nord qui produit de l’alumine, elle fournit en grande partie les usines d’Alma, de Jonquière et de Laterrière. Elle ne peut pas fonctionner au ralenti, car il pourrait aussi y avoir un problème d’obstruction dans certains de ses systèmes de tuyauteries. »

Commentaires