ROBERVAL – André Juillet est un historien hors du commun. L’artisan du boulevard de l’Anse à Roberval s’évertue à nous raconter notre histoire à travers les stylos qu’il confectionne dans sa petite entreprise. Depuis 1999, l’homme récupère des pièces ici et là de ce qui constituait autrefois une vieille porte de prison, un orgue d’époque ou encore un ancien aqueduc en bois pour en faire des crayons uniques. Portrait d’un artiste qui gagne sa vie en façonnant le passé.
L’établi d’André Juillet est le premier bâtiment qu’on aperçoit sur le Domaine Lévesque, à l’entrée de la municipalité de Roberval. L’ancienne grange, convertie en atelier et boutique, regorge d’outils pour y travailler le bois, la pierre et le métal. Partout où l’on pose les yeux, on y voit des artéfacts de toutes sortes : fusils d’une autre époque, colonne en bois et anciennes plaques de voiture. À une extrémité de la pièce, on distingue trois présentoirs vitrés contenant les fameux stylos.
« J’ai toujours travaillé le bois, explique André Juillet. Pendant des années, 95 % de mes revenus provenaient de la confection et de la réparation de meubles pour les écoles de la région. En 1999, le nombre d’inscriptions dans les établissements scolaires a chuté et mes services n’étaient plus requis. L’idée de faire des stylos m’est venue, mais je n’aurais jamais douté faire ça pendant 20 ans ».
Plus que de l’encre
Passionné d’artisanat et d’histoire, André Juillet n’utilise pas n’importe quel matériau pour la confection de ses œuvres. « Si je ne connais pas la provenance et qu’il m’est impossible de la certifier, je n’y touche pas. Par exemple, j’ai réalisé un stylo avec du bois de chêne fossilisé vieux de 5 400 ans. C’est l’université Laval à Québec qui a prouvé l’âge du bois en effectuant une datation au carbone 14 ». L’homme, qui ne laisse rien au hasard dans son travail, se fait également un devoir de mémoire.
« Lorsque la prison de Roberval a été détruite au printemps dernier, j’ai récupéré des barreaux de cellules et des portes en bois. J’ai conçu des étuis avec le bois et le corps de mes stylos est fait avec l’acier des grilles de cellule que j’ai poli et façonné. Il en a été de même pour le couvent des Ursulines, où j’ai récupéré des briques d’argile et des colonnes de l’ancienne chapelle afin d’en faire des stylos. Ces matériaux ont une histoire et une signification pour bien des gens, je cherche donc à leur donner une seconde vie ».
Toujours à la recherche de matières premières uniques, l’artisan découvre parfois d’anciennes pratiques délaissées. « La ville remplaçait une vieille canalisation près d’où je demeure. Les travailleurs ont retiré du sol des aqueducs datant de 1820 en bois ! Il était particulier de voir qu’à l’époque, l’eau était acheminée aux résidences par de grands tronçons de bois creusés en leur centre ». De toutes ses trouvailles et confections, la pièce préférée de monsieur Juillet demeure une plume faite avec une molaire de mammouth. Un travail de précision qui aura nécessité quatre jours de labeur.
Des produits reconnus
Le talent d’André Juillet est bien connu par les décideurs de la région. Plusieurs hommes politiques, dont l’ancien premier ministre Philippe Couillard, sont déjà passés à sa boutique. « Le gouvernement m’a déjà passé des commandes. Les politiciens offrent mes crayons à des dignitaires de passage. La ville de Roberval est aussi un bon client. D’ailleurs, j’ai sorti un stylo en l’honneur de Martin Bédard, fondateur de la Traversée du Lac-Saint-Jean. Le crayon est fait avec le bois des lilas que possédait monsieur Bédard. »
En plus des politiciens, l’entreprise privée s’intéresse au travail de l’artisan. C’est notamment le cas de Produits forestiers Résolu qui offre à ses employés qui atteignent 10 ans de service, un stylo en mélèze fait de la main d’André Juillet. « La Caisse Desjardins est également venue me voir pour que je fabrique des stylos avec les briques de l’un de leurs établissements. Malheureusement, la matière était trop friable et je n’ai pas été en mesure de répondre à leur demande ».
Pour la suite des choses
André Juillet n’est pas en mesure de certifier le nombre de stylos qu’il vend par année. Toutefois, il affirme qu’en 20 ans, il en aurait produit pas moins de 15 000. Un chiffre impressionnant pour une carrière prolifique. Questionné sur son plan de relève pour le jour où il accrochera son tour à bois et son ciseau, l’artisan répond, sourire au visage, qu’il n’a pas de plan précis et qu’il souhaiterait peut-être voir une partie de son œuvre à la mairie de Roberval.