Dominique Savard
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Dominique Savard

N.D.L.R. : Le texte qui suit fait partie d’un dossier rédigé dans le cadre du cahier thématique dont le thème est : « Économie durable, l’importance d’une économie verte et responsable ! » publié dans notre édition du mois de mars.

SAGUENAY – Est-ce que développement économique et faire des affaires vont de pair avec développement durable ? « Bien oui. C’est d’ailleurs ce qui permet d’intégrer le maximum de gens dans cette mouvance, cette transition vers un monde qui va être capable de mieux vivre entre nous et avec la nature », répond instantanément Claude Villeneuve, directeur, professeur titulaire de la Chaire en éco-conseil à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC).

La sommité en environnement rappelle qu’en regard de l’objectif numéro 8 (sur un total de 17) qui concerne la croissance économique dans le programme de l’Organisation des Nations unies (ONU) pour le développement durable Horizon 2030, l’économie est vue comme un moyen et non comme une fin. « En principe, il faut que la croissance soit d’abord pour les plus démunis pour leur donner les moyens de pouvoir satisfaire leurs besoins de santé, éducation, alimentation, eau potable, énergie. Ces besoins ne sont pas satisfaits à l’échelle planétaire. Donc, c’est une croissance qui est allométrique, différentielle selon là où on est rendu. Les croissances qui sont toujours plus grandes pour les plus riches, ça, ce n’est pas du développement durable. Mais une croissance générale de la productivité, de la circularité, c’est compatible. On peut aller plus vers une économie de service, une économie qui a des composantes locales, qui est inclusive, qui répartit les richesses. »

Selon M. Villeneuve, la pandémie donne des exemples et des contre-exemples de ce qui se passe. « Le fait que les plus riches s’enrichissent encore plus vite pendant le COVID-19, c’est une anomalie. On se rend compte que le néolibéralisme, c’est une faillite. On le voit d’ailleurs dans les pays les plus néolibéraux qui ont été les plus victimes de la pandémie. Les gens dans l’insécurité ne peuvent pas se protéger parce que l’État ne débourse pas suffisamment et ne répartit pas correctement, à des degrés différents. Ce sont les trois pays (États-Unis, Angleterre et Brésil) qui ont eu le plus de morts, de difficultés économiques résultant de la pandémie », précise-t-il.

Répondre à des besoins humains

Claude Villeneuve soutient que le fait de faire des affaires devrait être considéré comme une façon de répondre à des besoins humains. « Fondamentalement, on ne fait pas des affaires seulement pour faire des affaires. On le fait parce qu’on veut résoudre des problèmes, satisfaire à une demande qui est conditionnée par des besoins. C’est une définition simple de l’économie. Malheureusement, il y a beaucoup de choses qui viennent polluer l’économie. Par exemple, les faux besoins. On crée par le marketing des besoins qui n’en sont pas, qui sont liés au paraître plutôt qu’à l’être. J’aime bien citer l’exemple de l’automobile qui n’est pas un moyen intéressant pour le transport. Elle est inefficace, car elle est arrêtée à 95 % du temps sur une période de 24 heures; elle occupe de l’espace, mais ne transporte personne; il y a cinq ceintures avec une moyenne de 1,2 passager, et il y a donc quatre fois trop d’espaces utiles pour le déplacement d’une personne. Si vous allez voir la puissance du moteur par rapport à la vitesse permise, il y a encore beaucoup de marge de manœuvre, car le moteur est généralement trois fois plus puissant. On est donc à 99 % inefficace pour le transport. À cela, il faut ajouter les embouteillages. On voit donc que c’est un faux besoin. »

Retour au commerce local

En revanche, le directeur de la Chaire en éco-conseil constate qu’avec la pandémie, on voit un retour vers le commerce local. Dans une chronique publiée au printemps 2020 dans Le Quotidien, il soulignait d’ailleurs qu’il est faux de prétendre que le produit local revient plus cher au consommateur. « Lorsqu’un commerçant vous offre un produit, le prix regroupe l’ensemble des composantes qui ont permis de l’amener sur la tablette, de l’extraction des ressources à la transformation, aux emballages et au transport avec les profits de chacun des intermédiaires, peu importe où ils sont sur la planète. Il y a donc nécessairement une partie, souvent majeure, du prix payé par le consommateur qui échappe à l’économie locale. Donc, la valeur ajoutée pour l’économie du circuit court procure des moyens d’existence à nos concitoyens et des revenus à l’État. »

En fait, pour Claude Villeneuve, l’achat local et le développement durable sont compatibles. Les gens qui font du commerce local ont très peu d’échappatoires fiscales parce qu’on est dans un pays réglementé, qui a des contraintes environnementales, dans lequel les coûts de production sont directement reflétés dans les coûts d’acquisition. « Si mon voisin et ses employés paient leurs impôts, et moi la TPS, l’État dispose de la marge de manœuvre pour satisfaire les besoins comme la santé, l’éducation; les municipalités disposent des moyens pour s’assurer d’avoir de l’eau potable; la société a donc des bénéfices qui sont répartis par l’existence de cette fiscalité qui est nécessaire pour le vivre ensemble. »

Selon Claude Villeneuve, la région se démarque

SAGUENAY – La région du Saguenay–Lac-Saint-Jean se démarque en développement durable, notamment par ses performances en santé-sécurité au travail et environnement (SSE), selon Claude Villeneuve, directeur de la Chaire de recherche et d’intervention en écoconseil et de l’infrastructure de recherche Carbone boréal à l’UQAC.

« La qualité de l’environnement dans la région est clairement meilleure qu’il y a 30 ou 40 ans. Au début de ma carrière, il n’y avait aucun système d’épuration d’air ou d’eau dans aucune usine et aucune municipalité, sauf à Saint-Thomas-Didyme qui fut la première en 1976 à avoir un système de traitement des eaux. Le ministère de l’Environnement est arrivé au Québec en 1980. Ce n’est qu’en 1994 qu’on a arrêté le flottage du bois sur les rivières. Et les usines de papier rejetaient leurs résidus directement dans l’eau, tout comme les usines d’aluminium déversaient leurs résidus dans l’eau ou dans l’air. En plus de la réglementation qui est extrêmement importante, les entreprises ont adopté la SSE non seulement pour ne pas payer de gros montants, mais elles se sont rendu compte qu’elles dépendaient de plus en plus de leurs employés pour leur performance », assure M. Villeneuve.

Économie circulaire

Le chercheur souligne d’ailleurs qu’il participe à un projet de recherche qui s’étale de 2017 à 2023 et qui consiste à prendre les déchets de papetière ou d’aluminerie pour en faire un engrais pour les bleuets et pour la forêt. « On utilise l’un de nos sous-produits pour faire de la recherche sur comment mieux engraisser les bleuets. Il y a comme une économie circulaire qui va se mettre en place, particulièrement avec les biosolides des papetières. Ainsi, on prend quelque chose qui vient de la forêt, qui est passée par l’usine, on le retourne dans la forêt, et ça fait de meilleures productions, ce qui fait que l’on peut ramener le bois à l’usine plus vite. C’est de l’économie circulaire. Il n’y a pas de limite dans ce genre de croissance là. »

AgroBoréal, un exemple

Toujours en ce qui concerne la région, la connaissance est un autre facteur qui nous permet de nous démarquer, aux dires de l’enseignant. « Le créneau AgroBoréal est un magnifique exemple. La Zone boréale est en train de démontrer comment on peut mettre en valeur l’effort des producteurs, rapprocher les consommateurs des producteurs, créer des associations d’idées ou de personnes qui vont collaborer pour mettre en marché des produits originaux qui respectent l’environnement et qui permettent aux producteurs de rester sur place et de bénéficier d’une meilleure qualité de vie. Nous avons aussi un potentiel de créativité avec un nombre de personnes qui est suffisamment critique pour se donner des institutions comme l’UQAC pour se donner des moyens de coopération à l’échelle régionale. »

Le CQDD et la SADC-HS des outils

Les PME disposent de nombreux outils pour leur permettre d’améliorer leurs performances en termes de développement durable (DD), dont le Centre québécois de développement durable (CQDD), qui est issu de la région-laboratoire de développement durable que Claude Villeneuve a créée en 1991 et qui forme des cohortes de PME au développement durable dans la région et à l’extérieur. « Il y a aussi, notamment, la SADC du Haut-Saguenay et son directeur, André Boily, qui a mis des critères de développement durable pour faire des prêts aux PME; le Fonds de Solidarité de la FTQ a lui aussi des critères d’investissement en DD pour les PME; le Fonds Écoleader permet de réaliser des projets en DD; le Centre d’aide aux entreprises (CAE) offre aussi des services et du financement pour favoriser l’implantation de bonnes pratiques de DD dans les PME et les communautés; Recyc-Québec propose du soutien pour favoriser une meilleure gestion des matières résiduelles et la mise en place de symbioses industrielles », énumère en conclusion Claude Villeneuve.

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