SAGUENAY – Au cours des dernières années, les problématiques de santé mentale sont devenues la première cause d’absence maladie prolongée. Une situation préoccupante face à laquelle les entreprises ont un rôle à jouer.
« C’est très prévalent au Québec, au Canada, mais aussi au niveau mondial », souligne d’entrée de jeu Michèle Parent, consultante en santé organisationnelle et conseillère en ressources humaines agréée (CRHA). Les sociétés ont réagi en mettant en place de nombreuses actions orientées vers l’individu. Or, même si ces solutions sont pertinentes, elles ne sont pas suffisantes.
Selon Mme Parent, avant même d’implanter des mesures concernant les particuliers, les entreprises devraient s’attaquer aux pratiques organisationnelles. « C’est utile de poser des gestes pour les employés directement, mais il ne faut pas que ce soit juste ça et il ne faut pas commencer par ça. La santé mentale, c’est très organisationnel. Souvent, les entreprises font des choses pour les travailleurs, mais ne s’occupent pas de l’échelon des gestionnaires. C’est pourtant super important. C’est une cascade qui part de la haute direction, qui descend vers les cadres et ensuite aux employés », indique-t-elle.
Revoir la stratégie
Dans ce cas, par où commencer ? Selon Mme Parent, il faut d’abord évaluer la façon dont l’entreprise est administrée et la manière dont les gestionnaires dirigent les employés. « Il faut s’attaquer à la stratégie de gestion. Tout part d’une conscientisation de la haute direction. La deuxième chose qu’on doit faire rapidement, c’est de sensibiliser et former les cadres sur l’impact qu’ils ont sur la santé mentale de leurs travailleurs. Il faut leur donner la capacité de rencontrer les employés qui vivent des difficultés et la latitude décisionnelle pour pouvoir leur proposer des accommodements ou des solutions qui les aideraient. »
Il n’y a toutefois pas de recette magique qui s’appliquerait à toutes les entreprises. La façon de s’y prendre pour assurer le bien-être psychologique des employés va dépendre de chaque organisation, de ses valeurs et de son ADN. Ainsi, Michèle Parent suggère de réaliser un diagnostic afin de connaître ce qui se fait déjà en la matière au sein de la firme et de sélectionner les pratiques à conserver ou à ajouter. « Ce diagnostic doit être basé sur les rétroactions des salariés. Cela peut se faire par des questionnaires, des groupes de discussion, etc. Il faut que les travailleurs puissent se prononcer », affirme-t-elle.
Concept abstrait
Les pratiques de gestion favorisant la santé mentale des travailleurs constituent toutefois encore un concept abstrait pour de nombreuses personnes. « Lors d’une étude menée par Caroline Biron en 2016 auprès de 144 gestionnaires questionnés sur leurs raisons de ne pas avoir mis en place certaines approches, les répondants disaient manquer de formation ou ne pas trop savoir comment faire. Ils suggéraient d’avoir une formation, du coaching ou des groupes de codéveloppement. Quelques-uns ont même mentionné qu’il serait intéressant d’avoir accès à un consultant externe à qui parler afin d’améliorer leurs méthodes », explique la conseillère en ressources humaines agréée.
Diminuer les risques
Globalement, on peut dire que les saines pratiques de gestion sont celles qui diminuent les risques psycho-sociaux. L’Institut national de la santé publique du Québec (INSPQ) en a identifié six ayant une influence sur l’état psychique des employés : la charge de travail, le manque de reconnaissance, le manque de soutien social du supérieur et des collègues, le manque d’autonomie décisionnelle ainsi que l’information et la communication. Mme Parent en ajoute deux autres : le harcèlement et le risque d’être soumis à un événement traumatisant dans le cadre de son métier.
Des stratégies de gestion qui prennent en compte ces risques et les réduisent contribuent à assurer le bien-être psychologique des salariés. « En 2008, Jean-Pierre Brun a écrit un livre qui s’intitule Les sept pièces manquantes du management. Dans ce livre, il identifiait sept pratiques de gestion en ce sens : témoigner de la reconnaissance au travail, soutenir les employés, développer une culture de respect, harmoniser l’emploi et la vie personnelle, contrôler la charge de travail, encourager l’autonomie et la participation aux décisions ainsi que clarifier les rôles de chacun », illustre Mme Parent.
Et les gestionnaires ?
Les problématiques de santé psychique ne touchent évidemment pas seulement les travailleurs. Les gestionnaires ne sont pas à l’abri de difficultés. « LifeWorks publie depuis le début de la pandémie des données sur l’indice de santé mentale des salariés. Dans le dernier rapport, ce qui est très préoccupant, c’est que celui des gestionnaires était moins bon que celui des employés en général. Or, l’étude de Caroline Biron en 2016 a démontré un effet en cascade. C’est-à-dire que si les dirigeants ne sont pas dans un bon état psychologique, ce qu’ils vont véhiculer dans leur organisation va créer des problèmes », explique Michèle Parent.
Il est donc essentiel de prendre soin des gestionnaires afin d’être en mesure de le faire pour les employés. Encore là, il faut miser sur les pratiques organisationnelles, tout en sensibilisant les cadres à se préoccuper de leur propre bien-être psychique. « Quand le climat de l’entreprise est favorable à la santé, ça va créer un environnement qui est bénéfique au niveau psychosocial pour le gestionnaire et encourager sa santé psychologique. Cela va le pousser à utiliser des styles de management qui améliorent l’état mental des employés. »
Mme Parent souligne que des gestes permettant d’appuyer le gestionnaire qui a un travailleur en difficulté et de lui offrir les moyens pour le soutenir peuvent aider. De même, il faut s’assurer que le cadre soit en mesure de diriger l’employé vers les bonnes ressources lorsque les besoins dépassent ces compétences.