SAGUENAY – Les dernières données sur la santé mentale des entrepreneurs sont alarmantes. Selon un sondage de la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ), 75 % d’entre eux ont fait face à un enjeu de santé mentale nécessitant un arrêt de travail ou connaissent un autre entrepreneur dans cette situation. Dans ce contexte, que peuvent faire les employés ? Ont-ils des moyens de soutenir leur patron ?
Selon les chiffres de la Banque de développement du Canada (BDC), 51 % des entrepreneurs canadiens font actuellement face à un enjeu de santé mentale. « C’est énorme. C’est omniprésent présentement », affirme Annie Boilard, présidente du Réseau Annie RH, CRHA Distinction Fellow.
Alors que 50 % des emplois au Québec se retrouvent dans une PME de cinq employés ou moins, la situation a de quoi inquiéter les travailleurs. Si l’on constate que son patron semble aux prises avec des difficultés psychologiques, il ne faut toutefois pas paniquer.
« Dans la plupart des cas, l’entreprise pourra perdurer. […] Si l’employeur nous informe qu’il a besoin de prendre une pause ou quelques semaines de congé, il ne faut pas s’alarmer. On ne va pas tous perdre notre emploi du jour au lendemain. En fait, c’est sain. Ça veut dire que notre patron prend soin de sa santé mentale », fait valoir Mme Boilard.
Des signes
Les salariés ont aussi des moyens de soutenir leur patron. Lorsqu’un gestionnaire vit des enjeux de santé mentale, ils peuvent discerner certains indicateurs. « Les changements de comportements, on sait que c’est un gros drapeau rouge en matière de santé mentale. Quand les employés en perçoivent, c’est un bon signe qu’il se passe quelque chose », indique Annie Boilard.
Le patron peut devenir plus impatient et brusque, avoir la mèche plus courte, s’isoler. Il peut se mettre à arriver en retard aux réunions, etc. La prise de décision pourrait être ralentie, voire absente. Il est possible qu’il y ait une confusion dans les décisions prises, des oublis. « Ça a une incidence sur l’employé, parce que ça crée une désorganisation qui nuit à son travail », mentionne la conseillère en ressources humaines agréée (CRHA).
Comment agir ?
Lorsqu’ils perçoivent ces signes chez leur employeur, les salariés peuvent agir. Évidemment, ce n’est pas leur rôle de dire à leur patron qu’il devrait aller consulter. Ils ont toutefois la possibilité de lever le drapeau rouge. « Ils peuvent faire un reflet, nommer les choses. On veut dire : hey boss, ce n’est plus pareil ! », propose Mme Boilard.
Celle-ci recommande d’utiliser des mots simples et d’approcher le gestionnaire avec bienveillance. « On veut faciliter la prise de conscience. Il faut être authentique. Par exemple, on pourrait dire : je suis un peu inconfortable de te le nommer, mais on sait que les changements de comportements sont des signes importants à suivre. Là, moi j’observe qu’il y a des différences… », illustre-t-elle.
Le travailleur pourrait évoquer sa propre expérience pour ouvrir la discussion et créer un terrain propice pour l’employeur s’il souhaite parler de son vécu.
Les employés devraient aussi respecter le besoin de déconnexion du patron, même si celui-ci leur dit que ça ne le dérange pas d’être appelé en dehors des heures de travail. « Les salariés sont capables d’évaluer le niveau d’urgence. Si le feu est pris, on va lui téléphoner. Mais si ça fait peu de différence de l’informer à 21 heures le soir ou à 8 heures le lendemain, on peut l’aider en évitant de l’interpeller sur les heures de pause. »
Offrir de l’aide
Les employés peuvent également offrir de l’aide à leur patron au niveau de la charge de travail. « Un des premiers signes en matière de santé mentale, ça va être l’isolement. Un gestionnaire pourrait avoir tendance à reprendre les dossiers. Dans ce cas, on peut résister afin de conserver ces tâches. Il est possible de lui dire qu’il nous paye pour ça, qu’on va s’en occuper et lui rapporter dans quelques jours », suggère Annie Boilard.
Les salariés peuvent aussi faire remarquer à leur employeur qu’il en a beaucoup sur les épaules et lui proposer de reprendre certaines tâches, de répondre à des courriels, partager certaines responsabilités ou le stress.
Selon Mme Boilard, l’absence de priorisation peut faire mal à l’entreprise et créer une surcharge de travail. Quand un patron à des enjeux de santé mentale et qu’il a de la difficulté à prendre des décisions, tout peut lui paraître énorme. « Si un employé vient en soutien, qu’il l’aide à faire des choix, ça peut être très sain pour tout le monde. Une personne qui a une bonne santé mentale aura plus de facilité à prendre des décisions. Elle pourra gérer des choses et réduire le ballon un peu. »
Contexte difficile
Annie Boilard estime que le contexte économique et social actuel joue pour beaucoup dans l’augmentation des enjeux de santé mentale des entrepreneurs. La pandémie, la pénurie de main-d’œuvre, l’inflation, les hausses de taux d’intérêt, les prêts d’urgence à rembourser au gouvernement et les grèves dans la fonction publique s’accumulent sur les épaules des propriétaires d’entreprises et contribuent à augmenter leur stress. « Les employeurs sont très sollicités actuellement. Ils ont besoin d’aide. Collectivement, il faut qu’on s’y intéresse. […] Peut-on tendre la main à nos gestionnaires et marcher ensemble plutôt que s’affronter ? », conclut Mme Boilard.