Auteur

Karine Boivin Forcier

SAGUENAY – La demande mondiale de phosphate est en croissance. On estime qu’elle pourrait atteindre plus de 300 millions de tonnes en 2030, notamment en raison de l’augmentation de la production alimentaire et de l’émergence du marché des batteries lithium-fer-phosphate. Avec la présence de nombreux gîtes et indices de phosphate sur son territoire, ce marché présente un potentiel exceptionnel pour le Saguenay–Lac-Saint-Jean.

Selon le directeur de la Table régionale de concertation minière (TRCM), Benoit Lafrance, le phosphate est un secteur porteur pour la région. « C’est notre marché de niche, parce que nous avons des gisements de classe mondiale », souligne-t-il. Il évoque notamment le gisement du Lac à Paul, que la minière Arianne Phosphate travaille à développer. « Je pense que le Lac à Paul est le plus gros gisement connu actuellement qui n’est pas développé », précise M. Lafrance.

Plusieurs indices (échantillons au sol, par décapage et premiers forages) et gîtes (lorsqu’on a une idée du volume) ont aussi été identifiés. « Et ils ne sont pas tous trouvés. Toute la bordure de l’anorthosite régionale est une cible intéressante pour l’exploration », ajoute-t-il.

Une pureté rare

Au-delà de la présence du minéral sur son territoire, l’avantage du Saguenay–Lac-Saint-Jean réside principalement dans la pureté de ses sources de phosphate. Celle-ci se trouvent dans des roches ignées, contrairement à la majorité des gisements exploités à travers le monde, qui sont dans des roches sédimentaires. « Les gisements composés de roches sédimentaires contiennent beaucoup de métaux délétères, comme du cadmium et de l’uranium, qui se retrouvent ultimement dans le concentré. Les gisements magmatiques (ou ignés), contiennent très peu d’impuretés. Cela permet d’avoir un concentré d’apatite de très très haute pureté et c’est ce qui nous distingue par rapport à d’autres gisements à travers le monde », explique M. Lafrance.

Autre avantage pour la région : les gisements de phosphate dans des roches ignées sont très rare. À l’heure actuelle, seulement 5 % du phosphate produit à travers le monde provient de gîtes ignés. Toutefois, les gisements provenant d’anorthosite ignée, comme ceux du Saguenay–Lac-Saint-Jean, sont encore plus exceptionnels puisqu’ils forment 1 % du phosphate mondial. Ils seraient « encore plus purs » que les autres gisements ignés, selon la minière First Phosphate, qui développe un projet sur sa propriété phare du lac à l’Orignal au nord de Saguenay.

Benoit Lafrance confirme que la Suite anorthositique du Lac-Saint-Jean est une des plus grandes au monde. « C’est un type de roche qui est quand même assez rare. Particulièrement, avec un aussi grand potentiel connu en phosphate, nous avons vraiment une longueur d’avance sur d’autres pays. Notre potentiel régional est vraiment exceptionnel. », assure-t-il.

Un atout régional

John Passalacqua, le chef de la direction de First Phosphate, estime que la pureté des sources de phosphate régionales est un véritable atout pour la région. « Ici, nous avons une roche propre. Cette roche ignée est très importante pour faire une grande quantité d’acide phosphorique avec peu de minerai d’apatite. Aussi, c’est facile à traiter au niveau de l’environnement. Quand on fait le concentré, on peut le faire sans solvants », mentionne-t-il. L’entreprise évalue que jusqu’à 90 % de la matière première pourrait être convertis en acide phosphorique purifié.

Puisque le minerai ne contient pas d’éléments radioactifs, cela permet aussi d’envisager la valorisation des résidus de gypse pour la construction, l’agriculture ou le ciment. Il s’agit d’un avantage pour des projets tels que celui de First Phosphate, qui visent le respect des plus hauts critères en matière d’environnement, de société et de gouvernance (ESG).

Benoit Lafrance rappelle également que les réglementations québécoises et canadiennes font en sorte que les mines développées au Québec sont bien positionnées en matière de respect de l’environnement, des travailleurs et des communautés. « Lorsque les entreprises productrices veulent s’assurer d’avoir des sources responsables ou éthiques, nous sommes des premiers de classe. Cela s’ajoute à la pureté de notre minerai. »

Proximité des infrastructures

Outre ces caractéristiques territoriales, le Saguenay–Lac-Saint-Jean compte un autre atout pour se démarquer à l’échelle mondiale : ses infrastructures. Grâce aux nombreux chemins forestier, les indices et gîtes sont relativement accessibles. Les réseaux routiers et ferroviaires sont bien développés, en plus de l’accès à l’hydroélectricité, une énergie verte. Le port en eau profonde de Saguenay et sa zone industrialo-portuaire (ZIP) sont aussi des incitatifs de choix pour les entreprises minières. « Le port offre une ouverture à la fois vers les marchés américains et européens », souligne M. Lafrance.

La proximité des infrastructures est un aspect non négligeable des projets miniers, puisque cela permet de réduire les coûts de démarrage et d’opération. « Pour notre projet, nous n’aurons pas besoin de créer de nouvelles infrastructures. Nous pouvons arriver au port avec des camions de 52 tonnes qui peuvent circuler sur les routes québécoise. De là, nous pouvons faire entrer et sortir les matériaux. Nous avons accès au monde entier sans être contraint par des écluses. Il y a un bon réseau ferroviaire qui nous porte jusqu’au coeur de l’industrie des automobiles en Amérique du Nord. La main-d’oeuvre est très proche aussi. Pour nous, c’est important », résume John Passalacqua.

Encore de la place

Même si aucun projet régional n’est encore à la phase de construction, l’homme d’affaires estime qu’il y a de la place pour d’autres entreprises ou encore pour la croissance de celles déjà présentes. « Je pense qu’il y a de la place surtout dans le secteur des fertilisants. C’est sûr que le phosphate et le concentré du Québec est très intéressant au point de vue environnemental pour ce marché-là aussi », mentionne-t-il.

Toutefois, le secteur des batteries présente aussi de belles possibilités de croissance. Selon les prévisions de First Phosphate, l’Amérique du Nord aura besoin, d’ici à 2030, de 750 000 tonnes de poudre de cathode de lithium-fer-phosphate seulement pour le marché des automobiles. Jusqu’à maintenant, on compte qu’il y en aurait 50 000 tonnes de produites d’ici 2030. « Avec notre projet, nous en ferions 120 000 tonnes. [...] Ça pourrait être cinq à 10 fois ce que nous avons prévu de faire. Nous partons avec un projet réaliste, mais si ça va bien, il y a beaucoup d’opportunités d’expansion à l’interne de notre société même ou encore pour d’autres sociétés », conclut John Passalacqua.

Un contexte mondial favorable

Les projets de développement de mines de phosphate dans la région s’inscrivent dans un contexte mondial qui influence à la fois la demande pour ce minéral et son prix. Actuellement, le principal marché pour le phosphate est celui des fertilisants. Des quelques 220 millions de tonnes de phosphate produites annuellement, environ 87 % sont destinées à la fabrication de fertilisants. Ce marché est appelé à croître en raison de l’augmentation de la production agricole. En effet, selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la production alimentaire devrait augmenter de 70 % d’ici 2050 pour nourrir une population qui atteindrait les 9,1 milliards de personnes.

Par ailleurs, un autre débouché en émergence pour le phosphate est le marché des batteries lithium-fer-phosphate (LFP). Selon Fortune Business Insights, celui-ci devrait passer de 10 G$ US en 2021 à près de 50 G$ US en 2028. Plusieurs fabricants de véhicules électriques, dont Tesla, Ford, Volkswagen et Mercedes-Benz, ont aussi annoncé leur intention d’utiliser des batteries LFP.

Croissance

Ainsi, les données présentées par la minière Arianne Phosphate, qui développe un projet au Lac à Paul, au Nord de Saguenay, évaluent l’augmentation de la demande de phosphate à environ quatre à six millions de tonnes par année. Le taux de croissance annuel composé du marché mondial du phosphate est estimé à 2,8 % entre 2020 et 2025.

« Actuellement, c’est vraiment intéressant. [...] Pour les engrais, c’est la démographie qui fait que les besoins en alimentation augmentent toujours. Les batteries constituent un nouveau créneau en forte accélération. En termes de volume, les fertilisants représentent une part importante de la production du phosphate actuellement. Même si la progression n’est pas aussi importante que pour les batteries, en termes de volume, c’est énorme », souligne Benoit Lafrance, directeur de la Table régionale de concertation minière.

Producteurs mondiaux

Actuellement, les principaux producteurs de ce minéral sont la Chine, le Maroc, les États-Unis et la Russie. Le Maroc possède 75 % des réserves mondiales connues en phosphate. Plusieurs de ces sources présentent toutefois des préoccupations éthiques ou environnementales (notamment en lien avec la présence de contaminants dans les gisements sédimentaires). Par ailleurs, aux États-Unis, seul producteur nord-américain, les réserves sont en net déclin.

Ce texte fait partie d'un dossier réalisé par Informe Affaires pour analyser le potentiel du phosphate et de la filière batterie dans la région. Les autres textes de ce dossier seront publiés au cours des prochains jours ou vous pouvez les retrouver dans notre édition papier du mois d'avril :

La filière batterie régionale : un projet réaliste

Arianne Phosphate en attente de partenariats

First Phosphate en avance sur ses échéanciers

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