SAGUENAY – Le développement d’une filière batteries au Saguenay–Lac-Saint-Jean est un projet réaliste, selon plusieurs experts. Avec la présence de gisements de phosphate sur son territoire, le créneau des batteries lithium-fer-phosphate (LFP) est particulièrement prometteur pour la région.
« C’est très réaliste d’y penser. Nous sommes dans la course. Pour certains producteurs, se tourner vers des sources responsables est de plus en plus important. Cette proximité des ressources premières devient très intéressante pour eux, parce que ça réduit les impacts environnementaux. La présence d’hydroélectricité, de terrains industriels et du Port de Saguenay, encore une fois, crée un fort potentiel », résume Benoit Lafrance, directeur de la Table régionale de concertation minière (TRCM).
Selon Karim Zaghib, expert des batteries lithium-ion et professeur à l’Université Concordia, le Saguenay–Lac-Saint-Jean, avec son expertise industrielle, est bien positionné pour accueillir une filière des batteries LFP. « Si en plus, vous avez un phosphate plus pur qu’ailleurs et que vous pouvez récupérer du fer dans le même processus ou qu’il y en a dans une région à proximité, c’est une combinaison gagnante », souligne-t-il.
De plus, la production importante d’aluminium est un autre avantage compétitif, puisque ce métal est utilisé comme collecteur de courant dans les batteries LFP. « La cathode, elle est complète dans votre région », affirme Karim Zaghib.
De la mine à la cathode
L’expert estime que les étapes de la mine à la cathode des batteries LFP constituent un excellent focus pour le Saguenay–Lac-Saint-Jean. «Dans cette chaîne, on a le matériau de la mine, puis la première transformation et la deuxième transformation. Ensuite, il faut faire le précurseur et enfin le matériau actif de cathode. Tout ça, déjà, c’est une grosse industrie. Ça signifie beaucoup de création d’emplois directs et indirects. Et votre région devient ainsi fournisseur d’une composante importante de la batterie », explique-t-il.
C’est d’ailleurs l’angle qu’a choisi d’exploiter la minière First Phosphate pour le développement d’un projet au lac à l’Orignal, au nord de Saguenay. Ses dirigeants souhaitent créer une filière intégrée allant de l’extraction minière au matériau actif de cathode. Le projet inclurait la création de deux usines, possiblement dans la zone industrialo-portuaire (ZIP) du Port de Saguenay, l’une pour la production d’acide phosphorique purifié et l’autre permettant sa transformation en matériau actif de cathode.
Le chef de la direction de l’entreprise, John Passalacqua, croit qu’une fois ces usines implantées, d’autres industries pourraient être intéressées à s’implanter pour la production d’autres composantes des batteries LFP, créant un véritable écosystème.
« Je pense que le Saguenay–Lac-Saint-Jean pourrait devenir le pôle de la production de batteries LFP en Amérique du Nord. C’est très important, politiquement et économiquement, de trouver une place où on a un grand avantage. Je crois qu’il faut se positionner autour de la batterie LFP, où la région a un grand avantage », croit-il.
Le SLSJ peut faire sa place
SAGUENAY – Même si Bécancour est actuellement à l’avant-plan du développement de la filière batterie québécoise, il y a de la place pour des projets dans d’autres régions, selon Karim Zaghib, expert des batteries lithium-ion et professeur à l’Université Concordia.
« Le marché présentement, il a faim. Il a besoin des composantes. Pour moi, en se spécialisant avec le secteur des batteries LFP, votre région devient complémentaire à Bécancour. » Il ajoute que le volet minier est très important et qu’il peut donner des bases solides pour la région. À partir de la production minière, il est ensuite possible de lancer les étapes suivantes de la chaîne d’approvisionnement. « À Bécancour, ils n’ont pas de mine. Ils doivent faire venir le minerai. Une entreprise qui s’installe là pourrait acheter le minerai produit chez vous. »
L’équipe de Port de Saguenay partage l’opinion de l’expert quant à la possibilité pour la région de se tailler une place dans la filière batterie au Québec. « Le site de Bécancour est intéressant parce qu’il y a de la place, qu’il y a une bonne logistique de transport et que les infrastructures y sont plus développées. Par contre, nous avons aussi de bons attributs. Géographiquement, nous sommes plus proches des ressources du Nord. Nous sommes donc mieux positionnés pour la filière des minéraux critiques et stratégiques. Nous avons une plus grande capacité maritime, c’est-à-dire que nous pouvons accueillir de plus gros bateaux qu’en amont dans le Saint-Laurent. Le tissu économique et les expertises sont différents », mentionne Carl Laberge, président-directeur général de Port de Saguenay.
Celui-ci fait remarquer que peu de ports au Québec et au Canada ont des terrains industriels lourds disponibles à proximité, comme c’est le cas de celui Grande-Anse. La plupart sont plutôt limités dans leur croissance, ce qui n’est pas le cas ici.
Pas seulement le LFP
L’administration portuaire ne cible toutefois pas un seul type de batteries. Les projets qu’elle travaille à attirer actuellement concernent aussi les batteries lithium-ion « traditionnelles » au nickel-manganèse-cobalt (NMC), puisque le marché des LFP est seulement en émergence. « Ce qui se construit en ce moment, ce sont des NMC. […] Il y a énormément de demandes dans ce marché. Bécancour ne sera pas suffisant pour répondre à cette demande et nous pensons que Saguenay est un bon site », estime M. Laberge.
Selon lui, même si la proximité des ressources est un avantage pour le LFP, le Saguenay–Lac-Saint-Jean peut déjà se démarquer dans le secteur des batteries lithium-ion. « C’est sûr que d’avoir la ressource proche nous donnerait un avantage sur n’importe qui pour les batteries LFP. Mais le site de Saguenay est déjà intéressant pour des projets dont les ressources sont plus loin. Les particularités que nous avons ici sont assez fortes pour que ce soit avantageux de transporter la ressource d’ailleurs pour la transformer ici. C’est ce qu’on fait depuis 100 ans avec l’aluminium », souligne-t-il.
Point tournant
Carl Laberge croit que le récent octroi d’un montant de 105,5 M$ pour le développement de la zone industrialo-portuaire (ZIP) de Grande-Anse dans le budget 2023 démontre que le gouvernement du Québec croit aussi au potentiel de la région. Cela permettra à Port de Saguenay de finaliser le développement des infrastructures (route, réseau d’aqueduc, etc.) pour desservir les terrains industriels de grand gabarit sur les 1 200 hectares de la ZIP. « C’est vraiment un point tournant pour nous. Ça nous aide énormément dans le développement et la prospection d’avoir ces investissements. Nous allons développer les infrastructures pour avoir rapidement des terrains prêts à l’investissement. […] Les projets ont toujours des échéances rapides. Avoir ces montants dans le budget, ça me permet de dire aux promoteurs que j’ai un échéancier et que j’ai les fonds pour le faire », indique Carl Laberge.
Celui-ci confirme qu’il y a de l’intérêt pour le Port de Saguenay et que les investissements prévus dans le budget du Québec viennent le renforcer. « Il y a beaucoup d’effervescence et de demandes autour de la ZIP. C’est tout à fait possible qu’il y ait des annonces en 2023. Et il ne faut pas oublier que nous avons un projet, avec Métaux BlackRock, qui est autorisé et qui serait prêt à commencer la construction si le financement se conclut », rappelle le PDG.
Les batteries lithium-ion
Les batteries lithium-ion sont composées de trois éléments, soit une anode, une cathode et un électrolyte. La chimie de ces batteries n’est pas fixe, c’est-à-dire que l’anode et la cathode s'échangent des ions de lithium. « L’ion qui est dans la cathode va aller dans l’anode lors de la charge. Quand l’ion va aller de l’anode vers la cathode, on va décharger la batterie. Une charge et une décharge, on appelle ça un cycle », explique Karim Zaghib, expert des batteries lithium-ion et professeur à l’Université Concordia.
Il y a quatre types de cathodes commerciales actuellement, soit lithium-cobalt, le nickel-manganèse-cobalt (NMC), le nickel-cobalt-aluminium et le lithium-fer-phosphate (LFP). Les batteries NMC et LFP sont ainsi deux chimies de lithium-ion qu’on voit dans les véhicules électriques et le stockage d’énergie.
Selon M. Zaghib, la batterie LFP possède plusieurs avantages. D’abord, elle ne contient pas de nickel ni de cobalt, deux minéraux dont l’extraction présente des enjeux environnementaux et de stabilité géopolitiques. Le fer et le phosphate sont des matériaux qui ne coûtent pas cher et qui se retrouvent au Québec. Par ailleurs, le collecteur de courant dans ce type de batteries est constitué d’aluminium.
La technologie LFP est également très sécuritaire. « Avec le NMC, il y a des problèmes de sécurité. Avec le LFP, il n’y a pas d’explosion ou d’émission de gaz toxique durant les tests de pénétration ou les essais de collision », indique l’expert. Par ailleurs, ces batteries peuvent tolérer plus de cycles (charge-décharge) que les NMC, ce qui offre une plus longue durabilité. Leur inconvénient, c’est qu’elles offrent une densité d’énergie inférieure aux NMC, donc une moins grande autonomie pour le véhicule. « La tendance, pour augmenter la densité d’énergie, c’est d’élargir les batteries LFP. Leur densité d’énergie va toutefois toujours être moins grande que les NMC », précise Karim Zaghib.
Une chaîne nord-américaine des batteries LFP
Plusieurs producteurs de véhicules électriques commencent à s’intéresser aux batteries lithium-fer-phosphate (LFP), qui présentent plusieurs avantages par rapport aux traditionnelles batteries nickel-manganèse-cobalt (NMC) [ voir encadré en p. X ]. Notamment, Ford, Tesla, Volkswagen, Rivian, Mercedes-Benz et Hyundai s’intéressent à cette technologie. Plusieurs ont même annoncé qu’ils l’utiliseraient bientôt dans certains de leurs véhicules.
« Le marché va être segmenté entre ces deux types. Dans les véhicules, on va retrouver les deux types et dans le stockage d’énergie aussi. Les constructeurs veulent aller vers les LFP parce que c’est plus sécuritaire, mais aussi moins cher », indique Karim Zaghib, expert des batteries lithium-ion et professeur à l’Université Concordia.
De plus, l’American Inflation Reduction Act adopté fin 2022 prévoit des critères qui encourageront probablement les fabricants de véhicules à se tourner vers des matériaux produits en Amérique du Nord. En effet, les véhicules électriques seront admissibles à une subvention pour l’acheteur si, entre autres, 40 % des matières premières critiques de la batteries sont extraites ou traitées aux États-Unis ou dans un pays avec lequel un accord de libre-échange a été signé. Ce pourcentage atteindra 80 % en 2026.
Les critères exigent aussi que 50 % des composants de la batterie soient fabriqués ou assemblés en Amérique du Nord, pourcentage qui passera à 100 % en 2029.
La région pourrait donc tirer parti de ces tendances du marché. « Il faut réfléchir à une chaîne d’approvisionnement en Amérique du Nord qui est verte, moins coûteuse et stable. Les États-Unis n’ont pas les minéraux critiques. Au Québec, nous avons les minéraux critiques, dans lesquels je crois que le phosphate devrait être inclus », précise M. Zaghib.
Ce texte fait partie d'un dossier réalisé par Informe Affaires pour analyser le potentiel du phosphate et de la filière batterie dans la région. Les autres textes de ce dossier seront publiés au cours des prochains jours ou vous pouvez les retrouver dans notre édition papier du mois d'avril :
Un potentiel exceptionnel pour le phosphate au SLSJ
Arianne Phosphate en attente de partenariats
First Phosphate en avance sur ses échéanciers