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Karine Boivin Forcier

SAGUENAY – L’aérospatiale est un secteur stratégique au Québec, dont les activités sont regroupées à 98 % dans un rayon de 30 kilomtres autour de Montréal. Le Saguenay–Lac-Saint-Jean possède toutefois un secret bien gardé pour se démarquer : le Centre d’excellence sur les drones (CED).

Selon la présidente-directrice générale d’AéroMontréal, la grappe aérospatiale québécoise, Suzanne Benoît, les drones sont le futur de l’industrie aérospatiale. « On a des statistiques impressionnantes dans ce domaine. […] Les drones, en 2020, formaient un marché de 22 milliards (G) de dollars américains. On estime qu’il va atteindre 42 G$ en 2025 », indique-t-elle, précisant que ces chiffres sont tirés d’un rapport de Transport Canada.

Les aéronefs électriques à décollage et atterrissage vertical (eVTOL) constituent également un marché qui devrait connaître une forte croissance dans les prochaines années. Ceux-ci sont considérés comme des solutions de mobilité aérienne urbaine qui
pourraient désengorger les voies de circulation dans les grandes villes et contribuer à la décarbonation de l’industrie, puisqu’ils fonctionnent à l’électricité. Ils peuvent être pilotés ou autonomes. « Il y a à peu près 600 projets sur la planète en ce moment. Tout le monde essaie de développer son taxi volant. Il y a beaucoup de startup et sociétés qui ont des projets », souligne Mme Benoît.

Dans ce secteur, les chiffres devraient passer de 5,4 G$ à 23 G$, toujours en devise américaine, en 2028. « Certains prédisent que ce marché prendra 50 % de l’importance du transport aérien actuel à l’horizon 2040 environ. Il y a tellement de congestion dans les grandes villes, on peut penser que ça va devenir un moyen de déplacement privilégié, même s’il reste encore beaucoup de chemin à faire. »

Expertise saguenéenne

Avec le CED, le Saguenay–Lac-Saint-Jean possède une belle expertise en matière de systèmes d’aéronefs télépilotés (SATP). Celui-ci gère en effet le Créneau d’excellence sur les drones civils et commerciaux, en plus d’opérer un centre d’essais pour la préqualification des systèmes de drones. « Ce n’est pas quelque chose que nous pourrions faire à Montréal. Ça prend des espaces réservés où il est possible de faire voler des véhicules hors vue, ce qui ne serait pas réalisable dans la métropole », note la PDG d’AéroMontréal.

Selon elle, le CED a de beaux projets en cours et à venir. Offrant des services en matière d’entretien et opération, tests en vol et au sol, formation, manufacturier ainsi que recherche et développement, le centre a tous les atouts en main pour se positionner et soutenir les entreprises aéronautiques dans un marché en croissance. « Les drones vont amener de plus en plus de projets. On a vu récemment un transport d’organes pour une transplantation effectué par drone à Toronto, d’un hôpital à un autre. C’était la première fois que ça se faisait. Ça va changer les façons de faire et créer des besoins en matière de soutien à la population », affirme Suzanne Benoît.

Cette dernière croit aussi beaucoup au développement des eVTOL, pour lesquels des projets-pilotes sont en cours. « Avec la congestion et le trafic qu’on vit dans les villes, l’urbanisation croissante, ça nous prend des solutions comme celles-là. Ça nous permettra de réduire les gaz à effet de serre. On travaille aussi à d’autres genres de propulsion pour les drones, dont l’hydrogène. C’est le futur de l’industrie.»

Petites grappes ?

De nouveaux projets pourraient émerger de ces marchés innovants. Des entreprises pourraient avoir de l’intérêt à s’installer près du CED, comme on l’a vu avec LUX Aerobot. Toutefois, plusieurs facteurs entrent en jeu, dont la disponibilité des talents.

« À l’heure actuelle, les gens vont à Alma à partir de différentes régions pour y passer deux ou trois jours. Par contre, quand le marché va grandir et qu’il va y avoir une demande plus importante, ça pourrait justifier d’avoir un emplacement satellite pour ces entreprises à proximité du CED. Si on se met à faire la promotion du Saguenay-Lac-Saint-Jean, peut-être qu’il y aura de petites grappes qui vont s’implanter », mentionne Mme Benoît, tout en demeurant nuancée.

Selon elle, le Québec est très bien positionné pour le développement des nouvelles technologies aérospatiales en raison de son hydroélectricité et de son expertise dans le domaine, tant pour le design, la fabrication, la certification et l’entretien d’aéronefs. « Cette expertise peut être transposée vers de nouveaux marchés. »

Zone d’innovation

AéroMontréal effectue actuellement des démarches pour obtenir la certification de zone d’innovation auprès du gouvernement du Québec. Celle-ci mettrait l’accent sur deux thèmes touchant notamment aux drones et eVTOL, soit l’autonomie (contrôle à distance, pilotage automatique, mobilité aérienne avancée) et la décarbonation.

La zone reposerait sur trois pôles, soit Saint-Hubert (Longueuil), Saint-Laurent et Mirabel. Dans ce dernier pôle, la grappe industrielle souhaiterait voir s’implanter un satellite du CED.

« Nous travaillons beaucoup avec le centre d’excellence. Ça nous permettrait de faire voler des drones, avec un périmètre plus petit que celui d’Alma, dans l’espace montréalais. Les entreprises pourraient ainsi réaliser certains essais avant de se déplacer vers Alma. Nous désirons axer Mirabel sur les tests, la certification et les démonstrations pour la mobilité aérienne avancée. […] Évidemment, on ne veut pas dédoubler l’expertise et ce projet se ferait vraiment en partenariat avec le CED », précise la PDG.

À Saint-Laurent, AéroMontréal mettrait en place un centre collaboratif d’innovation en aérospatiale et mobilité. Les étudiants pourraient venir dans cet espace, tout comme l’industrie, pour travailler sur la R&D. Le pôle de Saint-Hubert serait axé sur la formation, puisque l’École nationale d’aérotechnique et le Centre de technologie aérospatiale sont situés à proximité. « On parle de 1,5 G$ d’investissements dans la zone au cours des cinq prochaines années. C’est énorme et c’est important pour nous amener à un autre niveau », conclut Suzanne Benoît.

L’aérospatiale au Québec

15,2 G$ de chiffre d’affaires en 2021

4,9 % de croissance par an environ depuis les 25 dernières années

230 entreprises dans la chaîne de fournisseurs, dont :

-5 grands maîtres d’œuvre (Bombardier, CAE, Pratt & Whitney, Bell Textron, Airbus)

-15 équipementiers

-200 PME fabricant les pièces pour les équipementiers

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