Informe Affaires - Édition Janvier 2015 - page 29

INFORME AFFAIRES,
Le MENSUEL
économique d’ici •
JANVIER 2015 • 
29
(suite de la page 27)
Déjà 200 entreprises américaines
Le phénomène du reshoring suscite de
grands espoirs aux États-Unis depuis
cinq ans. Le président Barack Obama
a fait de la « renaissance » du secteur
manufacturier la pierre angulaire de sa
politique économique, y voyant une fa-
çon de créer des centaines de milliers
d’emplois. Depuis 2008, quelque 200
entreprises américaines ont rapatrié
aux États-Unis une partie ou la totalité
de leur production auparavant effec-
tuée dans des pays à faibles coûts. Se-
lon un sondage mené l’an dernier pour
le Boston Consulting Group, 54 % des
fabricants américains ayant des ventes
annuelles d’au moins 1 milliard songent
à rapatrier aux États-Unis une partie de
leur production. En 2012, c’était 37 %.
Les Chinois débarquent aussi
À Jefferson City, dans le sud-est du
Tennessee, c’est une entreprise de
Hong Kong, Merchant House Interna-
tional, qui a décidé d’ouvrir une usine
de bottes pour desservir le marché
américain, un investissement de 5 mil-
lions US.
« J’ai passé le plus clair de ma carrière
à fermer des usines aux États-Unis et
à en transférer la production dans des
pays en développement, alors pour
moi, c’est plaisant de participer au
retour du secteur de la fabrication »,
affirme Paul Lloyd, directeur du déve-
loppement des affaires de Footwear
Industries of Tennessee (FIT), la filiale
américaine de Merchant House. Vieux
routier de l’industrie, M. Lloyd a notam-
ment travaillé pour le géant Wolverine,
qui commercialise les marques Merrell
et Hush Puppies.
À l’instar des autres entreprises de
chaussures américaines, Wolverine
importe la quasi-totalité des produits
qu’elle commercialise, principalement
de la Chine.
Pourquoi une entreprise de Hong Kong
a-t-elle senti le besoin de s’installer aux
États-Unis? « Parce que les clients
nous demandaient des produits fabri-
qués aux États-Unis », répond Paul
Lloyd. Le plus important de ses clients
est Sears, qui a confié à FIT la fabrica-
tion d’un modèle de bottes de travail qui
sera vendu 130 $ US à partir du mois
prochain. L’usine a démarré ses activi-
tés en mai. Elle emploie actuellement
65 personnes qui gagnent environ 10
$ US l’heure (le salaire minimum est de
7,25 $ US l’heure au Tennessee).
Pour l’instant, la vaste majorité de la
production de Merchant House est faite
en Chine, mais d’ici deux ans, l’entre-
prise espère que le quart de celle-ci
proviendra des États-Unis. Les obsta-
cles demeurent toutefois nombreux.
La production au Tennessee coûte de
15 à 20 % de plus qu’en Chine, et ce,
même si l’entreprise économise sur les
droits de douane. Pour se donner un
coup de pouce, Merchant House im-
porte ses boîtes de Chine, où les prix
sont jusqu’à cinq fois moindres qu’aux
États-Unis.
Recréer une précieusemain-d’œuvre
Mais le plus difficile, c’est de trouver de
bons travailleurs alors que l’industrie
a pratiquement été rayée de la carte
aux États-Unis. « Nous avons encore
beaucoup de travail à faire, reconnaît
M. Lloyd. Je n’essaierai pas de vous
dire que tout est fantastique. Nous
sommes encore très loin de l’objectif.
Les Chinois sont encore bien meilleurs
que nous, tant sur le plan technique
que de l’efficacité. Mais il faut dire
qu’ils sont là-dedans depuis un bon
moment... »
Le géant chinois Lenovo a aussi jugé
que le moment était venu de déplacer
une partie de sa production aux États-
Unis. L’an dernier, l’entreprise a instal-
lé à Whitsett, en Caroline-du-Nord, une
chaîne de production d’ordinateurs,
dont les portables ThinkPad, ce qui a
entraîné la création de 115 emplois.
Lenovo a repris plusieurs ex-salariés
du concurrent Dell, qui a fermé une
usine dans la région en 2010.
Même chez IBM
Cela faisait plus de 15 ans qu’IBM avait
délocalisé à l’extérieur des États-Unis
la fabrication de sa gamme d’ordina-
teurs personnels, acquise par Lenovo
en 2005. « Ne nous racontons pas d’his-
toires, produire aux États-Unis coûte
plus cher qu’ailleurs, mais nous sommes
plus près de nos clients », résume Mi-
lanka Muecke, porte-parole de l’entre-
prise. « C’est bon pour nos affaires, mais
c’est aussi bon pour le pays », renchérit
Tom Looney, vice-président et directeur
général pour l’Amérique du Nord. Il note
avec fierté que les boîtes des ordinateurs
assemblés à Whitsett portent tous un au-
tocollant arborant la mention « Made in
North Carolina. »
Pour l’instant, Lenovo n’assemble à
Whitsett que les ordinateurs destinés
aux grandes entreprises et aux écoles
des États-Unis et du Canada. Ceux
vendus aux consommateurs sont tou-
jours fabriqués en Chine, au Mexique
ou en Inde. « Nous avons voulu limi-
ter les risques en commençant à petite
échelle, précise M. Looney. Mais ce se-
rait fantastique de prendre de l’expan-
sion. » Les raisons les plus citées pour
rapatrier de la production : 34 % Ré-
duction des délais de livraison; 29% Di-
minution des coûts totaux; 28 % Amé-
lioration de la qualité; 25 % Satisfaction
des consommateurs; 17 % Image de
marque.
La compétitivité de la Chine fond à
vue d’œil
Ce n’est pas que par patriotisme que
des entreprises commencent à rame-
ner de la production en sol américain.
Souvent, c’est parce que ce n’est pas
plus cher qu’en Chine, aussi éton-
nant que cela puisse paraître. Dans
une étude publiée en août, le Boston
Consulting Group (BCG) soutient que,
en moyenne, fabriquer aux États-Unis
ne coûte que 4% de plus que dans
l’empire du Milieu. Selon la firme, les
États-Unis sont devenus moins chers
que des pays comme le Brésil et la
Pologne. Et il serait désormais moins
coûteux de faire faire sa production au
Mexique qu’en Chine.
Certes, des pays comme le Viêtnam,
l’Inde et l’Indonésie demeurent signifi-
cativement moins chers que la Chine,
mais leurs infrastructures et leurs ré-
seaux de fournisseurs sont beaucoup
moins développés. « Les facteurs éco-
nomiques mondiaux sont en train de
changer en faveur de l’industrie amé-
ricaine de la fabrication », affirme Hal
Sirkin, associé principal du BCG à Chi-
cago.
Hausse de la productivité
Qu’est-ce qui explique ce revirement
majeur? D’abord, la hausse des sa-
laires en Chine, qui oscille entre 10 et
20% par année. Aux États-Unis, les sa-
laires stagnent dans l’industrie manu-
facturière depuis la récession de 2008.
Dans plusieurs régions, ils ont carré-
ment reculé, des usines à salaires rela-
tivement élevés ayant été remplacées
par d’autres qui versent à peine plus
que le salaire minimum. Ensuite, la pro-
ductivité a davantage augmenté aux
États-Unis que dans plusieurs pays en
développement, en raison notamment
de l’automatisation accrue des usines.
Les coûts de transport ont aussi bondi
ces dernières années, tout comme le
prix de l’énergie en Chine.
Pendant ce temps, le coût du gaz na-
turel reculait significativement aux
États-Unis en raison de la révolution
du gaz de schiste. C’est sans compter
les autres avantages de fabriquer plus
près des clients : délais d’approvision-
nement plus courts, meilleur contrôle
de la qualité et possibilité de conserver
des stocks plus restreints, ce qui se
traduit par des économies. Il y a aussi
le facteur Wal-Mart. Après avoir passé
des années à encourager les déloca-
lisations en exigeant des prix toujours
plus bas de la part de ses fournisseurs,
le détaillant incite désormais ceux-ci
à ouvrir des usines aux États-Unis.
L’an dernier, Wal-Mart s’est engagé
à accroître de 250 milliards US ses
achats aux États-Unis au cours des
dix prochaines années. Le chiffre est
impressionnant, mais cela représente
25 milliards US par année, soit moins
de 1% des ventes de l’entreprise aux
États-Unis.
Le « Reshoring Initiative »
Cela dit, le reshoring sera-t-il suffisant
pour relancer l’industrie manufacturière
américaine, comme l’espère Barack
Obama? Le mouvement a certaine-
ment contribué à freiner le déclin des
emplois dans ce secteur. Or, comme
dans la plupart des pays industriali-
sés, la reprise crée des emplois surtout
dans le secteur des services. En 2012,
le président a promis la création de
1 million d’emplois manufacturiers d’ici
2017, mais jusqu’ici, à peine 193 000
ont été créés.
Harry Moser, un vétéran de l’industrie
qui a fondé la Reshoring Initiative en
2010, se félicite du fait qu’en 2013, le
reshoring a créé 40 000 emplois aux
États-Unis, soit autant que les postes
perdus à cause de l’offshoring (les dé-
localisations vers les pays asiatiques),
qui reste d’actualité. Le bilan paraît
mince, mais il faut se rappeler qu’en
2003, les délocalisations avaient en-
traîné environ 150 000 pertes d’em-
plois, alors que le rapatriement de pro-
duction n’avait créé que 2000 postes.
M. Moser prédit qu’en 2016, le bilan
du reshoring et de l’offshoring sera
une création nette de 50 000 emplois.
« Pouvons-nous crier victoire? Non.
Mais nous pouvons dire que nous
connaissons un bon départ. »
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